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Et si on arrêtait de se forcer ?

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artichaut

le dimanche 28 septembre 2025 à 17h47

[Ça fait un moment déjà que je pense à ouvrir cette discussion. Que j'en ai le titre. Et que je ne le faisais pas (trouver le temps, trouver les mots…) alors je me lance aujourd'hui, qu'importe si c'est imparfait, je reviendrai de toute façon, compléter, poursuivre mes idées.]

Le titre est volontairement ambigu, ou plutôt polysémique :
- Et si on arrêtait de se forcer soi ?
- Et si on arrêtait de se forcer mutuellement ? (de forcer les autres)
C'est des deux dont je veux parler.
Car à mon sens ça procède de la même dynamique.

Je me force moi, donc j'estime que les autres doivent se forcer aussi, ou que je suis légitime à forcer les autres.
On me force donc j'estime que je peux forcer les autres.
Les autres se forcent donc j'estime que je dois me forcer.
Etc.
Ça tourne en boucle mais on en revient toujours à la même chose : il faut se forcer dans la vie, il faut se forcer en amour. (de même qu'il faut souffrir pour être belle/beau).
Et moi j'ai l'impression que justement c'est tout le contraire.
Et que cette pensée-là fait foirer nos liens avant même qu'ils ne commencent.

Qu'est-ce que l'amour ? C'est quoi l'engagement ?

On se force dans le sexe, on se force en relation.
On se force à être poly, à combattre la jalousie, à ressentir de la compersion.
J'ai le sentiment que selon nos constructions genrées on va être plus enclin·e à forcer l'autre sur le plan de la sexualité (je veux du sexe et j'estime normal d'en recevoir gratuitement), ou sur le plan relationnel (je veux que l'autre soit toujours là pour moi). Même si bien sûr ça s'entremêle. Et je trouve qu'on peut avoir tendance à minimiser l'un ou l'autre, le forcing sexuel ou le forcing relationnel, voire à négocier l'un en échange de l'autre.

À quel moment on dit stop à tout ça ?

Évidemment je vois venir les critiques. « Ah tu prône un système utopique ultra-libéral, où personne ne se force jamais, où chacun·e fait ce qu'il/elle veut de sa vie et de son corps, et où tout le monde s'en fout de tout et des autres ? Vive le capitalisme décomplexé, quoi ! Et surtout profite bien de tes privilèges, hein ! »

Et pourtant…
J'ai beau mettre en balance tout plein de choses, j'en reviens toujours au même constat, on se force soi et on force les autres, et de là viennent — à mon sens — beaucoup de nos problèmes.

Ça commence avec pas grand chose, ça commence insidieusement, ça mange pas de pain. On se force juste un peu, on force l'autre juste un peu. Allez quoi… Aimes-moi plus, aimes-moi mieux, aimes en moi ce que moi-même je n'arrive pas à aimer en moi, etc etc.

Et on en vient à banaliser le forcing, à remettre en question les limites de l'autre. Parce que bon tu pourrais faire un effort quand même ! Si tu m'aimes vraiment, tu pourrais te forcer un peu quand même ! Un peu comme la Jalousie en monogamie qui est une preuve d'amour, se forcer pour l'autre serait aussi une preuve d'amour.

Pour moi l'amour de l'autre commence par l'amour de soi. Et l'amour de soi commence par ne pas se forcer, à rien, pas même d'un iota. Et l'amour de l'autre par ne pas forcer l'autre, en rien, pas même d'un iota.
On pourra dire que c'est idéaliste, utopique, irréaliste, voire égoïste, ou masculiniste (dans certains contextes), etc.
Je ne le pense pas, et pour moi ne pas se forcer n'est pas synonyme de s'en foutre de l'autre, des autres. Au contraire c'est même une manière de les respecter vraiment. Et j'ai le sentiment d'à-peu-près réussir à le vivre dans ma vie (je dis bien à-peu-près, disons que c'est un fil rouge).


Dès que je sens que je me force ou que l'autre se force, ça me donne envie de stopper, de faire pause, voire machine arrière.
Mon chemin dans le consentement fait qu'aujourd'hui j'ai très à coeur de ne pas forcer l'autre, non seulement sur le plan sexuel mais aussi sur le plan relationnel.

Et quel goût a l'amour ou le sexe quand l'autre se force ?
Ai-je vraiment envie que l'autre se force pour mon bien, pour mon bonheur ?

Arrêter de forcer l'autre ça commence par accepter de renoncer parfois au "je veux" à "j'exige que", voire à "j'estime normal que", c'est accepter que tous nos désirs ne seront pas exaucés (ou que bien peu le seront), c'est accepter justement de renoncer à certains de nos privilèges sociétaux. Ça demande une vraie attention à l'autre et à soi, de chaque instant. Mais pour moi le jeu en vaut la chandelle. C'est que les interactions que je vivrai seront réellement pleinement consenties.
Quand on est un mec cis ça peut vouloir dire diminuer par 10, par 100, ou par 1000 les possibilités sexuelles ou amoureuses. Soite. C'est mon choix. Je sais pourquoi je le fais. Et ce faisant je (re)découvre ou (re)valorise d'autres formes d'interactions corporelles (le tactile pour lui-même, la tendresse…) ou d'interactions relationnelles (l'amitié…).

Je quitte cette course à toujours plus, ou aux interactions survalorisées par la norme (sexe, amour-amoureux, couple…). Mais ça c'est mon chemin, je présume qu'il y en a d'autres possibles.

En revanche je constate chaque jour les dégâts qu'opère le forcing tout autour de moi. Et ça me donne envie de proposer ce : Et si on arrêtait de se forcer ?

Ce site regorge de témoignage de gens qui se plaignent que l'autre n'est pas ci, pas ça, trop ci ou trop ça. Que l'autre ne fait pas les choses comme on le voudrait, que l'autre ne nous aime pas comme on le voudrait, etc, etc.
À quel moment on arrête de vouloir faire entrer l'autre dans notre moule, dans notre modèle, dans le miroir de nos désirs ?
À quel moment on aime l'autre pour ce qu'il/elle est, pour sa singularité, pour son altérité ?

Vouloir que l'autre se force pour nous, en quoi est-ce de l'amour ?
Se forcer pour l'autre, en quoi est-ce de l'amour ?

Mon but n'est pas de créer une nouvelle injonction, ouhla non. Je ne voudrais pas que quiconque se force à ne pas se forcer. Ça serai un comble !
Je suis convaincu au contraire, qu'on ne fait vraiment une chose que lorsqu'on on est convaincu (dans les tripes, pas que dans la tête) de son bien fondé (pour soi, pour l'autre, pour le monde, …mais surtout pour soi).

Quand j'ai lu BellHooks sur l'amour en tant que verbe d'action, ça m'a parlé, et ça me parle toujours. Oui, j'ai envie que mon amour se matérialise dans des actions. Oui, j'ai envie de mettre l'accent sur les choses positives et concrètes dans les interactions et les liens. Et je comprends qu'on regarde les actions de l'autre plutôt que ses "beaux" discours, ses actes plutôt que ses promesses. Mais si je me force à faire des choses (pour quoi, pour prouver mon amour ?) quel sens ça a vraiment ? Et est-ce que je m'aime vraiment en le faisant ? Là est mon fil rouge peut-être : est-ce que je m'aime en aimant l'autre ?

Et si je n'aime pas les actions (ou non-actions) de l'autre à mon égard, si je ressent que l'autre ne m'aime pas comme je le voudrais, soite. Je peux le lui exprimer, le lui expliquer, mais après basta. On ne fait pas le bonheur de l'autre malgré lui. Et si je dois m'aimer moins pour pouvoir continuer à l'aimer, alors pour moi c'est niet.
Alors certes souvent, je ne prends pas assez la peine d'exprimer mes besoins, mes peurs, mes états d'âmes, mais je ne peux reprocher à l'autre de ne pas deviner à ma place. Et si je lui exprime tout ça, et qu'il/elle n'en fait cas, alors je suis renseigné sur l'endroit de son amour pour moi, ou de son amour pour lui. Dans tous les cas je ne voudrais pas qu'il/elle se force pour moi. Surtout pas au détriment de lui-même.

C'est plus pragmatique qu'idéaliste à mon sens.
C'est je pense chez moi, lié à un profond sentiment de réciprocité. Non pas dans l'égalité (on n'a pas les mêmes besoins, les même envies, les même limites…) mais dans le fait d'accueillir l'autre tel qu'il/elle est. Car c'est ce que je veux qu'on fasse avec moi.

Bien sûr je n'y arrive pas, je suis jugeant, exigeant, égoïste et touti quanti. Mais encore une fois c'est mon fil rouge. Ne pas me forcer, ne pas forcer l'autre. Pas même d'un iota.

J'arrive à vivre ça avec de rares personnes, et c'est tellement… reposant.
S'enlever au maximum la pression. Et laisser venir ce qui voudra venir.

Le soin pour moi commence là. Et commence déjà par soi-même.

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Lili-Lutine

le dimanche 28 septembre 2025 à 19h18

À chaque fois que je me suis forcée, ou que j’ai laissé l’autre se forcer pour moi, c’est la confiance qui s’est érodée et le lien qui s’est fragilisé

Aujourd’hui, dès qu’apparaît l’idée de devoir me contraindre, ou de demander à l’autre de le faire, quelque chose en moi se cabre
Parce que le consentement, ce n’est pas juste un "oui" donné une fois, c’est un mouvement vivant, à réajuster sans cesse
Et si le désir ou la tendresse doivent être arrachés, alors il n’y a plus de joie

Ne pas se forcer, ne pas forcer l’autre, ce n’est pas de l’individualisme mais au contraire la condition pour que nos liens respirent
Sinon, on ne fait que rejouer les vieux scripts sociaux, couple, sexe, amour normé, en croyant inventer autre chose

Merci @artichaut de rappeler cette évidence trop souvent disqualifiée : l’amour et le désir ne se nourrissent pas d’efforts arrachés, mais d’élans libres, choisis, fragiles parfois mais toujours vivant

Message modifié par son auteur il y a un mois.

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Tiao88

le dimanche 12 octobre 2025 à 14h07

Après, par moments, on peut avoir la flemme de faire telle ou telle chose alors qu'on sait qu'une fois dans le bain ou post-activité on aura été contente de l'avoir fait. Mais au moment où on s'apprête à le faire, parfois on se force un peu...

Par exemple, je dois un peu me motiver/forcer à courir, à faire de l'escalade au moment où je le prévois, fais mes affaires mais je sais qu'après je serai contente de l'avoir fait.

Je sais que mon amoureux a souvent la flemme d'aller se balader en forêt/nature ou d'aller visiter tel ou tel endroit mais aussi qu'il est souvent content de l'avoir fait quand l'autre (pas forcément moi) a insisté. Mais sans doute parce que ce n'est pas hyper régulier.

Idem pour rendre visite à un.e ami.e/pote/copaine. Je suis parfois fatiguée, j'ai la flemme mais je le fais parce que 1) j'ai envie de voir la personne et de partager du temps avec elle, 2) J'aime bien me tenir à ce que j'ai dit, quitte à arriver en retard car besoin de me poser/reposer (auquel cas la personne est prévenue). Sachant que si je me suis engagée à tel truc, c'est généralement que quand la personne me l'a proposée ça m'enthousiasmait. Et que ça continue malgré la fatigue/flemme/désorganisation. Et parce que je recharge aussi une partie de mes batteries en passant du temps avec autrui.

Je pense aussi qu'il y a une question de communication dans le fait d'annuler quelque chose auquel on s'était engagé : le fait de le dire de soi même et ne pas attendre que ça soit l'autre qui revienne à la charge pour prendre des nouvelles, ça compte, pour moi. Après je ne sais pas si ça tombe dans le "j'exige que/je trouve normal que".

Et aussi parce que je me connais et que si je laissais ma fatigue et ma flemme (en plus de ma procrastination) dicter ma vie, je ne ferais peut-être pas grand chose.

Mais effectivement y a aussi une question de besoins/envies/attentes à conscientiser chez soi (avant même d'essayer de les nommer et exprimer à l'autre). Et encore faut-il que l'autre puisse entendre/comprendre ne serait-ce que mon ressenti. Et être honnête avec soi-même.

Quant à la compersion ben disons que quand je n'en éprouve pas, ce qui est le cas actuellement dans certaines relations, ça me bouffe et me rend triste... Pour le moment, je n'ose exprimer ce que je ressens (et qu'aurais dû arrêter de ressentir/espérer depuis un moment) donc j'ai choisi de m'éloigner un peu, parce que je n'ai pas envie de perdre ces relations non plus.

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crest

le lundi 13 octobre 2025 à 06h06

Effectivement entre «  se forcer » et «  faire des efforts » comment faire la différence ?

La masculinité dite toxique consiste par exemple à ne pas vouloir «  se prendre la tête », à fuir les discussions compliquées, à ne pas vouloir apprendre à faire autrement.
Inversement les personnes qui s’estiment déconstruites n’ont pas envie de faire l’effort d’ «  eduquer » les autres, préfèrent rester dans des espaces «  safe » où on espère que rien de désagréable ne va jamais arriver dans les interactions.

Plus généralement l’émotion négative comme seul critère d’évaluation des situations rend paradoxalement les relations fatiguantes car la vie est parsemée de telles émotions et s’y arrêter à chaque fois est impossible, sauf à avoir les moyens de discerner ce qui est important.

Pour moi l’argument de la fatigue est difficile à distinguer de la flemme sauf quand il y a des valeurs et finalités que les gens peuvent avoir en commun, ou se donner collectivement. De l’extérieur d’un groupe partageant valeurs et finalités, on peut juger que les gens se forcent, alors qu’ils font juste des efforts, paraissant inutiles voire violents aux personnes qui ne partagent pas leur valeur. C’est moins le fait de se forcer qui est problématique que ces valeurs et finalités qui peuvent être criticables, être des idéaux en décalage avec les pratiques, etc. A l’aune d’une critique de ces valeurs, il apparaît alors qu’on se force, mais pas avant.

Si on reste dans le contexte du polyamour, à partir du moment où on valorise les relations de longs terme, où la rupture est coûteuse, où le polyamour est en soi valorisé, etc on a un ensemble de valeurs qui expliquent bien que les gens vont supporter des ressentis très négatifs, certes jusqu’à un certain point.

Après globalement les relations de couples modernes sont traversées par des valeurs de sécurité et liberté, et échouent quand dans la pratique on n’arrive plus à articuler ces deux valeurs.

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Tiao88

le lundi 13 octobre 2025 à 22h53

crest

Pour moi l’argument de la fatigue est difficile à distinguer de la flemme sauf quand il y a des valeurs et finalités que les gens peuvent avoir en commun, ou se donner collectivement. De l’extérieur d’un groupe partageant valeurs et finalités, on peut juger que les gens se forcent, alors qu’ils font juste des efforts, paraissant inutiles voire violents aux personnes qui ne partagent pas leur valeur. C’est moins le fait de se forcer qui est problématique que ces valeurs et finalités qui peuvent être criticables, être des idéaux en décalage avec les pratiques, etc. A l’aune d’une critique de ces valeurs, il apparaît alors qu’on se force, mais pas avant.

-> Est-ce que tu aurais des exemples concrets en tête? Je pense voir ce que tu veux dire mais j'ai un peu de mal à conceptualiser :-/

crest

Si on reste dans le contexte du polyamour, à partir du moment où on valorise les relations de longs terme, où la rupture est coûteuse, où le polyamour est en soi valorisé, etc on a un ensemble de valeurs qui expliquent bien que les gens vont supporter des ressentis très négatifs, certes jusqu’à un certain point.

-> J'ai pas l'impression que dans les relations amoureuses / de couple exclusives et monogames ce soit tant différent (enfin c'est l'impression que j'en ai). Mais oui, parce qu'on est dans la dépendance (affective, matérielle, sociale etc), parce qu'on tient à ce qu'on a construit/vécu, doit y avoir pas mal de personnes qui vont aller jusqu'à un certain point avant si ce n'est de rompre, en tout cas de gueuler. Bon on ne devrait jamais en arriver à gueuler mais en matière de communication, on a beau être des animaux intelligents (et se penser plus futé que le reste du règne animal), j'ai l'impression que des fois on n'est guère plus doué.e.s que des bullots (et je m'inclue dans lesdits bullots).

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Aki

le mercredi 15 octobre 2025 à 15h18

Tiao88
Mais oui, parce qu'on est dans la dépendance (affective, matérielle, sociale etc), parce qu'on tient à ce qu'on a construit/vécu, doit y avoir pas mal de personnes qui vont aller jusqu'à un certain point avant si ce n'est de rompre, en tout cas de gueuler.

Lalala, pas du tout. :-D
#bullot

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