Monogamie et essentialisme
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artichaut
le dimanche 30 mars 2025 à 13h27
Je reprend ici une réflexion en forme de question posée par @crest sur un autre fil.
crest
je m'étonne qu'on s'en tienne au fait que quelqu'un "soit" "mono" comme l'explication ultime (…) hypothèse essentialisante (des gens "seraient" "mono" et d'autres pas)
Je m'interroge sur l'emploi du mot essentialisant ici.
La monogamie est-elle investie comme une essense (comme peuvent l'être par exemple les mots femme, homme… dans l'essentialisme de genre) ?
Je fais partie des gens qui pensais ou a pu dire que tout le monde est poly à la base (au même titre que tout le monde est bi, etc.) et donc notre "essence" serait plutôt pas mono selon moi.
Aujourd'hui d'ailleurs je dirais plutôt : personne n'est mono à la naissance. Tant il est vrai qu'on le devient par défaut… on est socialement construit par cette norme… avant d'éventuellement déconstruire ce shéma.
Du coup la notion d'essence me semble possiblement incorrecte ici. Ou alors comme une sorte d'essence du capitalisme en nous.
Mais je comprends ce que tu veux dire sous forme de catégorisation : est-ce qu'on n'identifie pas la personne à sa catégorie pour simplifier le discours et la pensée (au lieu de regarder ses actes et ses comportements) ?
Et en même temps, sauf à vivre en dehors de ce monde, j'ai tendance à penser que tout le monde est mono (y compris d'ailleurs celles et ceux qui prétendent ne pas ou ne plus l'être, car on vit dans ce bain-là).
Mais il s'agit là d'une donnée historico-sociologique et non d'une pensée essentialisante. Et j'ai bien peur que parler d'essentialisme à propos de catégories sociologiques, puisse être une inversion systémique d'oppression (comme parler de racisme blanc, ou de sexisme anti-hommes).
En tout cas, j'y voit un fort risque de glissement de pensée. Même si j'entends aussi la limite de la pensée sociologique, qui peut devenir totalisante si l'on perd de vue d'autres grilles de lectures possibles et surtout si l'on indentifie la personne à l'une de ses catégories sociales.
Pourquoi j'y vois un risque de glissement de pensée ?
C'est la pensée normée monogame qui me semble essentialisante en prétendant que la monogamie va de soi, que tout le monde est ou devrait être monogame, que si non est poly c'est "qu'on a pas trouvé le bon", etc.
C'est ôter la complexité sociale de la chose. Le fait qu'on a été construit monogame et qu'on peut le déconstruire. Que la monogamie est une norme parmi d'autres (dans l'espace géographique et le temps historique).
Avec la mainstrimisation du polyamour, je rencontre aussi des personnes qui débutent leur vie affective, sentimentale, amoureuse et sexuelle avec la non exclusivité, y compris parfois de manière très assumée (et non pas seulement comme une errance initiale, ou un non-choix imposé). J'ai appris à mes dépends que même ces personnes sont en réalité imbibés de réflexes monogames, et peuvent 'retourner leur veste poly' du jour au lendemain.
Du coup j'ai vraiment tendance à penser que la Monogamie, en tant que norme dominante, est essentialisante de fait. Et que traiter quelqu'un·e de mono ne l'est pas ('tout le monde est mono').
Après, que l'on simplifie à l'extrême, et que l'on puisse avoir tendance à confondre la personne avec l'une de ses catégories sociales, me semble autre chose.
Et considérer que parce que telle personne "est mono" elle va obligatoirement se comporter de telle manière, c'est oublier la complexité inhérente à chaque individu.
(Je poste déjà ça, même si je n'ai pas fini mon raisonnement, et que je sens que certaines choses ne vont pas ou qu'il manque certaines nuances importantes. Bienvenue à la contradiction.)
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Voir aussi :
- Monogamie(s) — définition(s) —
- Les outils pour relations non-normées.
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artichaut
le dimanche 30 mars 2025 à 13h43
Déjà, je me rends compte qu'il y a une nuance à faire entre Mono en tant qu'identité et mono en tant qu'adjectif.
"Tout le monde est mono" (pour moi), mais certain·e·s plus que d'autres. On est plus ou moins imbibé·e de la norme, plus ou moins sujet à la monogamie réflexe.
On ne devrait donc pas qualifier quelqu'un de Mono, encore moins à sa place, mais parler de sa construction mono (plus ou moins consciente, plus ou moins assumée, plus ou moins normative).
Et je devrais donc dire : Tout le monde a une construction mono. Tout le monde a des réflexes mono. Au lieu de "Tout le monde est Mono".
(Sachant que ce "Tout le monde" est déjà une généralisation à celles et ceux qui vivent dans ce monde où le système monogame s'impose.)
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artichaut
le dimanche 30 mars 2025 à 14h46
Si je prend comme exemple le cas du genre.
L'essentialisme c'est considérer que parce qu'on est homme ou femme on aurait telle ou telle façon d'être (on serait plus fort, plus intelligent, plus beau, plus intellectuel, plus ceci ou moins celà…) et que si c'est le cas c'est parce que c'est par nature et non par construction sociale. On ne peut donc pas le changer, et il nous faut l'accepter.
La sociologie en revanche étudie les spécificités (et pourquoi pas les privilèges) associés à telle ou telle catégorie sociale. Et avec la sociologie (qui s'appuit beaucoup sur la statistique) on peut par exemple constater que les mec cis ont tendance à plus couper la parole ou plus commettre d'agressions sexuelles.
Affirmer que parce qu'on est un mec cis on à très probablement déjà commis des agressions sexuelles — même sans l'avoir conscientisé — n'est pas de l'essentialisation, c'est de la statistique.
En revanche dire d'une personne qu'elle est un agresseur ou une victime, c'est potentiellement réduire la personne à sa catégorie sociale ou à certains de ses actes (qui peuvent être caractéristique de ladite catégorie). Et a minima c'est un abus de langage (qu'il soit utile ou non).
Dire que tous les mec cis sont des agresseurs, serait une généralisation, et une réduction de la personne à un trait caractéristique d'une de ses catégorie sociale.
Pourtant je pense sincèrement que la quasi totalité des mecs cis ont commis des agressions (et pour la plupart, sans en avoir encore pris conscience). Suis-je essentialiste pour autant ?
J'ai envie de penser que non, même si bien sûr, je peux me tromper (je n'ai pas de preuve de ce que j'avance), et je peux parfois sur-généraliser.
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Alastor
le dimanche 30 mars 2025 à 16h33
Pour moi,
Je pense qu'à notre naissance tout est possible et qu'il n'y a que peu de choses de notre vie sociale qui vont être déterminées par notre génétique.
Je crois que c'est la société dans laquelle on baigne qui façonne notre être social.
Je suis comme tout le monde ici j'ai grandi dans un monde fait pour les hommes cis-hetero blanc patriarcal et monogame.
Si moi je tente de réfléchir sur la remise en question de ce monde ce n'est pas le cas de tous.
Et il est vraiment plus facile pour tous de rentrer dans la normes que de les remettre en question.
C'est assez compliqué de se placer volontairement dans une position où on est un peu contre la masse pensante de la société.
Et même en étant à cette place, en interrogeant la norme et ses mécanismes on se retrouve, souvent ( toujours?) à suivre ce chemin normé car c'est comme ça qu'on a tous appris à fonctionner.
On ne se défait jamais totalement de ce qu'on a appris dès tout petit, sans que ce soit inné, la société et ses normes nous façonne depuis tout petit donc c'est inscrit en nous et on suit ces normes sans même sans rendre compte.
Je me demande même si on ne s'accroche pas encore plus à certaines de ces normes quand on les remets en questions, un peu pour se rassurer ?
Par ex : être polyamoureux mais franchir certaines étapes qu'on trouve essentielles de l'escalator relationnel afin de se rassurer sur l'amour que l'on se porte l'un à l'autre.
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artichaut
le dimanche 30 mars 2025 à 17h08
Alastor
Je crois que c'est la société dans laquelle on baigne qui façonne notre être social.
Je suis comme tout le monde ici j'ai grandi dans un monde fait pour les hommes cis-hetero blanc patriarcal et monogame. (…)
Et il est vraiment plus facile pour tous de rentrer dans la normes que de les remettre en question.
C'est comme si nous avions un genre "d'essence sociale" (qui s'acquière après la naissance et qui nous est transmis par nos référents parentaux, par la culture audio et visuelle, et par toute la société), une sorte de culture commune partiellement inconsciente.
Une culture commune pourtant acquise, mais de façon tellement lointaine qu'on en a oublié le commencement.
Comme si le système monogame, et pas que lui, circulait en nous tel un ensemble de mécanismes réflexes et rassurants, générant des comportements et des émotions spécifiques.
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Alastor
le dimanche 30 mars 2025 à 17h22
C'est un peu comme ça que je le vois oui, mais ce ne concerne pas que la monogamie mais tout ce qui fait notre société et la façon qu'on a tous de vivre ensemble ( dans le grand ensemble société).
Mais ce n'est qu'une idée que je me fais de la transmission des normes sociales car moi j'ai une autre expérience de cette transmission.
Moi je suis autiste et j'avoue que les normes sociétales je ne les comprends pas toujours ce qui fait que j'ai souvent ete mise sur "le banc de touche" on va dire.
Par exemple : Être renvoyée d'un lieu de travail, non pas parce que je faisais mal mon travail mais parce que je n'ai pas réussi à m'intégrer au milieu professionnel.
Les normes sociétales j'ai du les apprendre encore plus que les autres, pour moi il a fallu tout me dire.
Les normes ne me sont pas venues juste par l'exemple des gens autour de moi que j'ai donc intégrés " malgré moi" j'ai du les apprendre pour les appliquer...
Donc vraiment il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas.
Par contre une norme que j'ai appris et intégrer c'est compliqué pour moi quand je vois d'autres faire autrement et les remettre en cause, quant à les remettre en cause moi-même ça devient un vrai casse-tête.
Imaginez si on vous explique pendant des années : les filles c'est en rose et les garçons en bleu, vous ne comprenez pas pourquoi, mais pendant des années on vous le répète c'est comme ça que la société fonctionne et pas autrement, vous finissez par intégrer cette norme comme étant ce qu'il faut faire et un beau jour vous croissez quelqu'un en violet.... bah ça fait un drôle d'effet dans le cerveau 😅...
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artichaut
le dimanche 30 mars 2025 à 19h12
Alastor
C'est un peu comme ça que je le vois oui, mais ce ne concerne pas que la monogamie
Oui bien sûr, c'est juste que sur ce forum (et sur ce fil en particulier) la Monogamie est en sujet.
Alastor
Moi je suis autiste et j'avoue que les normes sociétales je ne les comprends pas toujours ce qui fait que j'ai souvent ete mise sur "le banc de touche" on va dire.
En vrai, je me demande s'ils y en a qui les comprennent vraiment, ces normes, ces codes sociaux ?
Peut-être certain·e·s sont plus doués que d'autres pour les intégrer, les absorber. Les personnes plus tournées vers l'extérieur. Pour qui les interactions sociales sont aisées.
Les autistes, les introvertis, les solitaires galèrent plus c'est certains. Les traumatisés du contact social aussi.
C'est un mal pour un bien, car ça permet de déconstruire, ou explorer d'autres possibles, un peu plus facilement sans doute.
Alastor
Imaginez si on vous explique pendant des années : les filles c'est en rose et les garçons en bleu, vous ne comprenez pas pourquoi, mais pendant des années on vous le répète c'est comme ça que la société fonctionne et pas autrement, vous finissez par intégrer cette norme comme étant ce qu'il faut faire et un beau jour vous croissez quelqu'un en violet.... bah ça fait un drôle d'effet dans le cerveau 😅...
C'est le sentiment que j'ai la sensation de provoquer parfois chez les autres, en parlant de ma vie, ou même juste en étant qui je suis.
Le sentiment de les confronter véritablement, comme si je remettais en question tout leur parcours de vie.
Et ça doit être violent (violet) à ressentir, vu les réactions de rejet très fort qu'ils ont parfois.
Je ne leur demande pourtant pas de changer. Mais c'est comme si voir du violet était insupportable à leur yeux. Juste ça ne se fait pas.
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artichaut
le dimanche 30 mars 2025 à 19h23
Alastor
Je me demande même si on ne s'accroche pas encore plus à certaines de ces normes quand on les remets en questions, un peu pour se rassurer ?
Par ex : être polyamoureux mais franchir certaines étapes qu'on trouve essentielles de l'escalator relationnel
Je ne sais pas si c'est plus (qu'on s'y accroche). Peut-être juste ça se voit plus dans un contexte moins normé. Car on s'attendrais à ce que certains script ne soient pas là.
Genre un truc binaire : t'es normé·e ou déconstruit·e. En réalité il y a mille manière de se situer là-dedans. Et chacun·e rejette certains scripts, et en conserve d'autres.
De même qu'il y a un attendu en milieu normé à ce que ces scripts soient respectés, de même il y a peut-être un attendu en milieu moins normé à ce que tous les scripts (ceux que l'on a soi-même identifiés) soient remis en cause.
Comme une espèce de pureté militante.
Et j'ai tendance à penser que cet attendu, est un script en lui-même : avoir des pseudos évidences communes non dites !
La déconstruction est un chemin exigeant, car il faut tout rendre explicite. Et c'est clairement chouette, mais aussi fatiguant.