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[Texte] Les marxistes et l'amour, Jean de Leyde, 1961

Politique
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artichaut

le mercredi 08 mai 2019 à 21h57

Les marxistes et l'amour, Jean de Leyde, 1961— extraits —
texte tiré des p 34-37, in L'Amour-problème, Arguments 5e année n° 21, 1er trimestre 1961.

Le texte intégral est disponible ici en pdf.

——————————————Intro
LES MARXISTES ET L'AMOUR

Le marxisme n'est pas un dogme, tout le monde le sait ou doit le savoir, mais une méthode, un guide pour l'action. Comment donc a-t-elle été appliquée, cette méthode, au problème de l'amour ?

——————————————Marx
LE FONDATEUR DU MARXISME

La division du travail n'était originairement que la division du travail dans l'acte sexuel.
K. Marx, L'idéologie allemande.

Marx s'est relativement peu occupé — en théorie du moins — de l'amour. Il n'en parle que dans quelques passages du manuscrit économico-philosophique de 1844, de la Sainte Famille de l'Idéologie allemande, et du Manifeste communiste (2).

Dans Économie politique et philosophie il stigmatise, comme il se doit le mariage fondé sur la propriété privée et suintant l'ennui, la prostitution et le communisme grossier qui vise la communauté des femmes, c'est-à-dire la propriété privée généralisée. Et il affirme : « Dans le rapport avec la femme, proie et servante de la volupté commune, se trouve exprimée l 'infinie dégradation où l'homme existe pour lui-même, car le secret de ce rapport a son expression non équivoque, décisive, révélée dévoilée dans le rapport de l'homme à la femme et dans la manière dont est saisi le rapport immédiat, naturellement générique. Le rapport immédiat, naturel, nécessaire, de l'être humain à l'être humain est le rapport de l'homme à la femme. »

Le paragraphe de la Sainte Famille consacré à l'amour affirme que « l'amour est une passion et rien n'est plus dangereux pour le calme que la connaissance que l'amour » pour défendre les droits de l'amour contre la critique des hégéliens de gauche qui le dissolvaient en pensées. Mais il ne nous en dit pas beaucoup plus long.

Dans L'idéologie allemande, Marx fait de nouveau tomber ses foudres sur l'institution bourgeoise du mariage dont la dissolution et la décomposition sont de-venues évidentes pour quiconque regarde les faits en face : adultères, etc.

Trouverons-nous dans le Manifeste communiste des indications sur l'avenir des formes de l'amour ? Répondant aux objections des bourgeois moralisateurs, le Manifeste déclare : « Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on reprocher aux communistes de vouloir substituer, à une communauté des femmes hypocritement dissimulée, une communauté officielle et franchement avouée. Il est évident, du reste, qu'avec l'abolition du régime de production actuel disparait également la communauté des femmes qui en découle, c'est-à-dire la prostitution officielle et non officielle. »

Auguste Bebel, vulgarisateur socialiste, publia en 1879 un livre sur La Femme et le socialisme qui devint partie intégrante de la littérature révolutionnaire. Sa thèse est simple : femme et ouvrier sont esclaves et doivent s'émanciper.

——————————————Engels
SON GRAND COLLABORATEUR

Or, la monogamie étant née de causes économiques, disparaîtra-t-elle si ces causes disparaissent ? On pourrait répondre, non sans raison : elle disparaîtra si peu que c'est bien plutôt à partir de ce moment qu'elle sera pleinement réalisée.
Fr. Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État.

Engels, dans son grand ouvrage consacré à cette grande question, retrace toute l'évolution historique des formes sexuelles — selon le schéma d'une rationalité trop parfaite — pour aboutir à la dernière forme : la monogamie, l'amour sexuel individuel. Leurs modalités antiques, médiévales et bourgeoises sont certes clouées au pilori. Mais l'amour socialiste, que sera-t-il, lui ? Brutal et presque nuancé, Engels essaie de maintenir le grand acquis — l'amour individuel moderne d'être humain à être humain, de sexe à sexe — et la structure monogamique, tout en la rendant quelque peu problématique. Ainsi écrit-il : « Si le mariage fondé sur l'amour est seul moral, celui-là seul peut l'être où l'amour persiste. Mais la durée de l'accès de l'amour sexuel est fort variable suivant les individus, notamment chez les hommes, et une disparition de l'inclination ou son éviction par un amour passionnel nouveau fait de la séparation un bienfait pour les deux parties comme pour la société. »

Engels se borne essentiellement à ce qui disparaitra — après la révolution — de l'organisation des rapports sexuels : esclavage de la femme, des enfants, morale hypocrite et surtout : le conditionnement économique. Les gens de l'avenir, pense-t-il, se créeront eux-mêmes leurs coutumes et une opinion publique appropriée. Toutefois, n'a-t-il pas une tendresse avouée pour la « monogamie » organisée ?

——————————————Lénine
LE FONDATEUR DE L'ÉTAT SOVIÉTIQUE

Je vous conseille de supprimer le paragraphe 3 : revendication (par la femme) de l'amour libre.
V. I. Lénine.
Lettre à Inès Armand (17 janvier 1915).

Avant la prise du pouvoir, Lénine ne se soucia point du problème de l'amour, de la sexualité et de la famille. Son attention était accaparée par d'autres questions. Après la victoire de la révolution d 'Octobre, le régime matrimonial changea radicalement : abolition de la puissance maritale et de l'incapacité de la femme mariée, extrême facilité pour dissoudre le mariage — enregistrement, unions non enregistrées, suppression de la différence entre enfants légitimes et enfants naturels, autorisation de l'avortement, et, étant donné qu'il n'y avait pas de propriété privée, impossibilité de léguer des biens. Les premières année du nouveau régime ne marquèrent pas seulement un changement juridique — rappelons que le juriste Hoichbarg, dans sa préface au Code du mariage de 1919 considère que la famille subsiste «  parce que nous avons affaire à un socialisme à l'état naissant » et que «  l'institution du mariage porte en elle le germe de sa ruine » — mais virent un changement effectif, dans la mentalité et les mœurs. L'amour libre et les unions libres se propagèrent. Alexandra Kollontaï, communiste dévouée, se fit l'apôtre de la libération sexuelle, au nom du marxisme radical.

Cette fluidité dura peu. Le pouvoir se consolidait. La société s'organisait. La restauration se préparait. En 1920, à l'occasion d'un entretien avec Clara Zetkin, activiste chez les femmes, Lénine redressa la barre et donna le ton. Il condamne sévèrement l'anarchisme érotique, la licence sexuelle, l'amour libre et l'amour-passion, le trop grand intérêt théorique et pratique porté à ces questions, tout cela étant considéré par lui comme « bourgeois ». Toutes les énergies humaines doivent tendre vers le même but : la construction accélérée de la société socialiste. Déjà en 1915, dans ses deux lettres à Inès Armand, militante qui s'apprêtait à écrire une brochure sur les rapports entre l'homme et la femme, Lénine opposait à l'amour libre le « mariage prolétarien avec amour ». Dans son entretien avec Clara Zetkin il est encore plus intransigeant. Et il fait tomber le verdict : « Certes, la soif doit être assouvie. Mais un homme normal, dans des conditions normales également, se mettra-t-il à plat ventre dans la rue pour boire dans une flaque d'eau sale ? Ou même dans un verre dont les bords auront été souillés par des dizaines d'autres lèvres ? Le plus important, c'est le côté social. »
L'enfant ne peut que relier les deux êtres a la collectivité ; ils ne doivent pas se dérober à leurs devoirs. La société doit contenir et retenir les individus.

Quant à la jeunesse, Lénine lui propose un scoutisme socialiste : « Sport, gymnastique, natation, excursions, toute sorte d'exercices physiques, intérêts moraux variés, études, analyses, recherches, le tout appliqué simultané-ment, tout cela donne à la jeunesse bien plus que les rapports et les discussions sans fin sur les questions sexuelles et sur la façon de "jouir de la vie", selon l'expression courante. »

Au cours de l'entretien, une seule pensée quelque peu mélancolique l'effleure : «  Je sais, je sais, dit-il, on me soupçonne aussi de philistinisme. Mais cela ne m'émeut pas. »

——————————————
MARXISME ET PSYCHANALYSE

La théorie de Freud, elle aussi, n'est aujourd'hui qu'un caprice à la mode.
V. 1. Lénine,
Déclaration à Clara Zetkin (1920).

(…)

Wilhelm Reich essava d'allier le marxisme et la psychanalyse en sa double qualité de communiste militant et de psychothérapeute. Il consacra - entre 1922 et 1932 - de nombreuses études à ce qu'il préconisait : la libération sexuelle dans les cadres de la libération sociale. Il fit le tour de la Russie soviétique pour exposer ses thèses. Résultat de toute cette activité ? Il a été exclu du Parti communiste non moins que de l'Association psychanalytique internationale. L'Internationale communiste et l'Internationale psychanalytique (et bourgeoise) ne voulaient pas de ce trouble-fête.

Avec les années, les positions des marxistes soviétiques et des marxistes occidentaux se durcirent à l'égard de la psychanalyse, « idéologie réactionnaire », « individualiste », « pan-sexualiste », etc., etc. Plus la psychanalyse s'américanisait, plus elle se faisait foudroyer
par les marxistes apprivoisés.

——————————————Staline
DU STALINISME AU COEXISTENTIALISME

Staline et le stalinisme entérinaient un état de fait et le consolidaient davantage. En 1936 l'avortement est interdit, le divorce sévèrement réglementé, la famille renforcée. En 1944 un décret établit que « seul le mariage légal entraîne des droits et des devoirs pour le mari et pour la femme ». Les personnes qui vivent maritalement sont obligées de légaliser leur union.

Jean de Leyde

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Commentaires
Si on résume l'analyse proposée par Jean de Leyde, ça donnerai :
- Marx s'est peu occupé de l'amour.
- Engels réforme la monogamie pour mieux la conserver.
- Lénine se comporte en vieux réac (pour un peu on le soupçonnerais presque d'avoir instrumentalisé les féministes, pour, une fois la victoire obtenue, mieux les envoyer paître).
- Staline enfonce le clou.

Il n'y a guère que quelques femmes et homme (Alexandra Kollontaï, Inès Armand, Wilhelm Reich) pour relever le débat et propager un vent de liberté et d'émancipation parmi ces vieux croûtons avides de pouvoir.

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