Intimité et intimités... quel paradoxe !
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titane
le samedi 07 mai 2011 à 09h04
Intimité et intimités
Aimer c’est partager son intimité nous dit-on. Mais qu’est-ce que l’intimité au juste ? A la fois évidence et mystère. Nous en parlons, nous la défendons, nous l’offrons, mais au fond savons nous de quoi parlons-nous ?… savons-nous ce que nous offrons ?
A bien y réfléchir l’intimité cache ou révèle un étrange paradoxe…
L’intimité désigne à la fois une invitation à la relation, l’intimité entre deux êtres ou cet espace partagé où l’on s’offre à nu au regard de l’autre, et une opposition à la relation, la ligne qu’il ne faut pas franchir, délimitant un espace irréductible, délimité par le respect et où l’autre n’a pas accès et sur lequel il n’a aucun droit.
Alors ? De quoi parlons-nous lorsque nous parlons de notre intimité ? A priori c’est un espace rien qu’à moi, mon « jardin secret », où j’ai le droit d’être seul en compagnie de moi-même. Un espace où j’éprouve ma solitude, non pas face à l’absence de l’autre, mais face au mystère d’exister, d’être unique. C’est donc une « fermeture » sur moi-même… mon intimité… Mais c’est aussi une extraordinaire ouverture à l’autre ! Je deviens alors intime avec l’autre ! Je lui donne accès à mon intimité, comme espace qui, pour lui, n’est plus interdit, n’ayant ainsi plus de secrets pour lui !
Comment maintenir ce paradoxe ? Quelle relation entretiennent ces deux sens qui semblent coexister si contradictoirement dans la même notion… pourtant deux expériences complètement opposées !
D’un côté je l’affirme et la défend, de l’autre j’y renonce et je l’offre à l’autre. Je renonce à cet espace où je ne suis qu’avec moi-même, je renonce à ma part inaliénable, que je refusais de donner sous les regards des autres, une part qui transcendait toute saisie par autrui. En acceptant d’être intime avec l’autre, je sacrifie ma propre intimité, renonçant à lui être un mystère. Je renonce à être un autre pour l’autre et j’attends de l’autre qu’il abandonne pareillement sa propre altérité, son propre mystère.
Voyez-vous le danger ? Ne risquons-nous pas ici de passer de l’intimité à la familiarité ? Une familiarité artificielle puisqu’elle repose sur un contrat implicite qui stipule que chacun des deux contractants doit demeurer le même, ou plutôt le même que ce que l’autre connaît de lui (ou croit connaître de lui), le même que ce qu’il a toujours été, le même que ce que l’autre attend qu’il soit ! Ainsi, dans cette intimité dégénérée, on ne se surprend plus, on se « connaît par cœur »… Certes, la relation devient confortable, sécurisante où chaque altérité est « neutralisée » par des « habitudes de couple ». Ainsi, on se persuade de connaître l’autre « intimement », mais en réalité nous nous coupons de la véritable altérité de l’autre…
Alors ? Sommes-nous condamnés d’avance ? Ne peut-on faire en sorte que deux ou même trois intimités coexistent, la mienne, la tienne et la nôtre ? Ne peut-on concilier et véritablement éprouver ce mystérieux désir de vivre cette intimité entre toi et moi dans le respect absolu de l’intimité de chacun ?
Cela exige d’éprouver un gouffre, de surmonter une angoisse : celle d’accepter cet espace où l’autre n’existe pas pour nous, où il demeure opaque à notre savoir, où il peut déployer des possibilités de son être que nous ignorons… sentez-vous ce gouffre ? Cette angoisse ? Elle nous déchire, n’est-ce pas ?... et ce n’est que le miroir de celle que nous déclenchons chez l’autre en cherchant à sauvegarder sa propre intimité.
Accepter l’intimité de l’autre c’est l’autoriser à se découvrir autre, ailleurs, que le personnage qu’induisent les inerties de notre relation. Ce serait donc garder celle-ci vivante !? Comment avoir accès à l’intimité de l’autre si on ne l’autorise pas à la sauvegarder ? Si on ne l’autorise pas à nous la cacher ?
La vérité de l’autre doit rester un mystère pour pouvoir être intime avec lui !
Oui, c’est un risque… autoriser l’autre à dépasser les limites de ce que je connais de lui, ou que je crois savoir de lui… mais n’est-ce pas également une chance !? Ne suis-je tombé amoureux de l’autre sans le connaître, sans rien savoir de lui ?
Ne voudrais-je pas finalement, au fond de moi, malgré ma peur, l’aimer et le découvrir, non plus comme une image figée, mais comme un mystère en perpétuel renouvellement, même si ce renouvellement se nourrit ailleurs que dans notre intimité ? Apprendre à le connaître non pas « par cœur », mais « par le cœur » ?
Apprendre à accepter que notre « nous » se délie, se défait, pour mieux se relier et se refaire à nouveau à chaque instant partagé… construire ? cela n’a plus de sens dans la vraie relation amoureuse… délier afin de se relier… l’amour serait un mouvement, un flux et un reflux, plus qu’un état de l’un vers l’autre… avec des instants « sans » l’autre… des étoiles baignées dans la nuit…
Ma solitude, mon intimité, est la face obscure du mystère d’être unique… fuir ma solitude dans l’illusion d’une intimité totalement offerte à l’autre, serait alors échapper à ma propre singularité ; certes je ne suis plus seul, mais je ne suis plus moi non plus…
Je veux t’aimer, je veux vous aimer en restant distincts sans être séparé de moi, de vous… en même temps j’accepte que tu sois d’abord toi avant de rejoindre ma solitude… parce que tu es toi, parce que je suis moi, nous sommes…
Aimer au pluriel, c’est se donner l’opportunité d’éprouver ce paradoxe, de concilier mon intimité tout en l’offrant au sein d’intimités plurielles… aimer au pluriel c’est prendre conscience de sa solitude, de ses solitudes relatives et de les vivre avec le même bonheur que lorsqu’on ouvre son intimité de façon sans cesse renouvelée et qu’on s’ouvre aux intimités des autres, elles aussi, sans cesse renouvelées… aimer au pluriel, c’est se donner plus d’opportunités d’apprendre à respecter le mystère des autres, d’accepter avec joie de ne pas savoir, de ne pas connaître les autres « par cœur »… et d’apprendre à éprouver ce plaisir de vivre sa singularité dans son intimité propre que personne ne découvre jamais (et que l’on découvre soi-même sans cesse).
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(compte clôturé)
le mercredi 07 mars 2012 à 21h33
Je n'ai pas spécialement beaucoup de commentaires à faire sur le sujet, je souhaite juste refaire monter à la surface cette discussion et noter les passages qui me marquent. Je citerai donc ces passages:
titane
Oui, c’est un risque… autoriser l’autre à dépasser les limites de ce que je connais de lui, ou que je crois savoir de lui… mais n’est-ce pas également une chance ! ? Ne suis-je tombé amoureux de l’autre sans le connaître, sans rien savoir de lui ?Ne voudrais-je pas finalement, au fond de moi, malgré ma peur, l’aimer et le découvrir, non plus comme une image figée, mais comme un mystère en perpétuel renouvellement, même si ce renouvellement se nourrit ailleurs que dans notre intimité ? Apprendre à le connaître non pas « par cœur », mais « par le cœur » ?
Apprendre à accepter que notre « nous » se délie, se défait, pour mieux se relier et se refaire à nouveau à chaque instant partagé… construire ? cela n’a plus de sens dans la vraie relation amoureuse… délier afin de se relier… l’amour serait un mouvement, un flux et un reflux, plus qu’un état de l’un vers l’autre… avec des instants « sans » l’autre… des étoiles baignées dans la nuit…
Je noterai juste que l'idée d'un amour représenté comme un mouvement, et/ou l'idée de l'identité d'une personne qui se forge et qui n'est pas immuable me plaît.
L'image d'un "nous" qui se délie me fait penser à l'écriture, la calligraphie, avec les pleins et les déliés, et je me dis alors qu'une histoire d'amour, ou l'histoire d'une vie peut avoir une belle calligraphie et/ou que chacun a sa propre calligraphie.
Message modifié par son auteur il y a 11 ans.
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oO0
le samedi 10 mars 2012 à 00h29
(+)
Je n'avais pas vu ce fil, c'est l'un des derniers que Titane a écrit. Je le trouve plein d'intuition justes dans lesquelles je me retrouve sans difficulté. En même temps, cela rentre dans un registre d'échange dont le caractère intime ne me semble - malheureusement - avoir que peu de place, ici, comme ailleurs.
Tu parles de calligraphie, je parlerais d'esthétique. J'aimerais m'en ouvrir davantage, mais cela touche presque à un manque douloureux, une aspiration déçue dont je préfère garder la tristesse pour moi-même. J'ai d'ailleurs l'impression que Titane a visiblement cédé à une pudeur semblable puisqu'il s'agit de son avant-dernier post. Pourtant, il ne me semble rien révéler d'intime, juste décrire certains mouvements de l'intimité, mais c'est un peu comme pour le nu, mettre à nu des mouvements, non du corps, mais de l'intime. Il a fallut un certain temps avant de reconnaître la simple beauté des corps nus et passer au-delà des préjugés de l'indécence et de la trivialité. Ici, j'ai l'impression d'autres préjugés cependant similaires que je serais bien en mal de nommer.
Je lisais dernièrement la table des matières d'un livre en libraire sur l'évolution des relations amoureuses et, par exemple, l'un des dernier chapitre parlait d'une sorte de "marginalisation" de la tendresse. Comme la beauté physique intimide, je pense que la beauté de certaines possibilité de l'existence et de ceo-existence intimident tout autant. Intimider (sans le sens péjoratif), intimité, deux termes qui partagent la même racine.