[Texte] Ce sexe qui n'en est pas un, de Luce Irigaray, 1974
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artichaut
le jeudi 30 avril 2020 à 23h44
Je voudrais vous partager ce texte, que j'aime et dont je viens de découvrir qu'il était dispo en pdf sur le net.
Ce n'est pas à proprement parler sur le polyamour, quoique…
Je vous laisse le découvrir.
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Ce sexe qui n'en est pas un de Luce Irigaray
in : Les Cahiers du GRIF, n°5, 1974. Les femmes font la fête font la grève. pp. 54-58.
dispo en ici (en pdf)
Ce texte à également été publié dans le recueil homonyme : Ce sexe qui n'en est pas un, Éditions de Minuit 1977, pp. 21-32.
Extraits :
La sexualité féminine à toujours été pensée à partir de paramètres masculins (…) De la femme et de son plaisir, rien ne se dit (…) Son sexe est fait de deux lèvres qui s'embrassent continûment. Ainsi en elle, elle est déjà deux —mais non divisibles en un(e)s— qui s'affectent. (…) La femme n'a pas un sexe. Elle en a au moins deux, mais non identifiables en uns. Elle en a d'ailleurs bien davantage. Sa sexualité, toujours au moins double, est encore plurielle. (…) Le plaisir de la caresse vaginale n'a pas a se substituer à celui de la caresse clitoridienne. Ils concourent l'un et l'autre, de manière irremplaçable, à la jouissance de la femme. Parmi d'autres… la caresse des seins, le toucher vulvaire, l'entr'ouverture des lèvres, le va-et-vient d'une pression sur la paroi postérieur du vagin, l'effleurement du col de la matrice, etc. (…) Or, la femme a des sexes un peu partout. Elle jouit d'un peu partout. (…) la géographie de son plaisir est bien plus diversifiée, multiple dans ses différences, complexe, subtile, qu'on ne l'imagine… dans un imaginaire un peu trop centré sur le même.
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artichaut
le vendredi 01 mai 2020 à 00h04
Perso la première fois que je l'ai lu, il y a de ça une petite dizaine d'années, ça m'a ouvert des portes sur en quoi la sexualité féminine pouvait être différente de la sexualité masculine, tant dans ses enjeux que dans son imaginaire. Et donc éclairé aussi sur la complexité des relations hétérosexuelles.
Il convient cependant de replacer ce texte dans le contexte d'une époque où le clitoris n'avait pas encore été reconnu dans son entièreté et où la théorie freudienne (clitoridienne/vaginale) avait encore une place prépondérante.
Si ce texte serait peut-être écrit différemment aujourd'hui, il conserve toutefois, je trouve, une actualité prégnante.
Je lui trouve en outre, une beauté littéraire peu commune dans des écrits théorique de ce type.
J'ai été ravi de découvrir qu'il est disponible en accès libre.
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Lili-Lutine
le vendredi 01 mai 2020 à 13h39
J’ai ce livre depuis des lustres ! Ça me donne trop trop envie de le relire dès que je le retrouve je ne sais encore où dans une de mes bibliothèques :)
Message modifié par son auteur il y a 3 ans.
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artichaut
le vendredi 01 mai 2020 à 14h26
Je pense même qu'on pourrait trouver dans ce texte des liens avec le polyamour (et son origine féminine). Si la femme est plurielle, si sa sexualité est plurielle, pourquoi ses amours ne le serait pas ?
Quand la monogamie au contraire n'est sans doute qu'une résultante socio-historique du patriarcat, de son caractère auto-centré et phallo-centré, mono-centré même. Le phallus —sexe unique par excellence— comme symbole et totem du patricarcat et de la monogamie, de sa volonté de toute-puissance, de son aveuglement à ne pas voir la pluralité.
(même si à part ça j'aime bien les phallus —quand c'est une partie du corps et non un instrument de torture et de pouvoir… à l'instar de ses substituts symboliques, le bâton qui frappe et le pistolet qui tue)
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Bequelune
le samedi 02 mai 2020 à 12h18
Texte
Or, la femme a des sexes un peu partout.
artichaut
ça m'a ouvert des portes sur en quoi la sexualité féminine pouvait être différente de la sexualité masculine, tant dans ses enjeux que dans son imaginaire.
Merci pour ce partage de texte qui m'a beaucoup intrigué ! D'un coté, je l'ai trouvé très stimulant, et il pose une nouvelle façon de penser les corps, les sexualités.
D'autre part il a un coté très essentialiste qui m'a vraiment géné. Je me demande : pourquoi ce qui est ici décrit pour les femmes ne serait pas aussi valable pour les hommes ?
Je suis tout à fait d'accord avec l'auteure sur la limitation de la sexualité féminine à cause d'un regard trop masculin-hétérosexuel-centré. Mais c'est exactement la même chose - voire pire - pour les hommes. Pire car, depuis déjà de nombreuses années, on voit dans de nombreux médias une réflexion sur la sexualité féminine. Avec, par exemple, mise en avant du clitoris, etc. Il n'y a pas , ou très peu, d'équivalent pour les hommes : on est toujours bloqué sur le dogme de la sacro-sainte éjaculation. Avec en prime des injonctions à la performance, et peu de réflexion sur le plaisir masculin.
En fait n'importe quel homme peut jouir de ses fesses par ex (jouissance due à la pénétration et/ou jouissance prostatique, ce qui est déjà deux choses différentes), sans à avoir être pénétré par le pénis d'un autre homme (on peut aimer se faire sodomiser en étant un mec hétéro, quoi). Ceux qui ont déjà essayé les pratiques BDSM savent qu'on peut aussi tirer de la jouissance de plein d'autres parties du corps. Sans aller dans ces pratiques qui restent particulières (sodomie ou BDSM), je suis sur qu'on peut tout à fait, en tant qu'hommes, réinventer notre sexualité en allant au délà de la seule pénétration/éjaculation.
Voilà, entièrement d'accord pour dire - et explorer - la diversité des sexualités que chacun de nos corps porte en lui. Mais je ne vois pas bien en quoi on est obligé de poser une différence de nature entre hommes et femmes pour ça. Au contraire, cette diversité inciterait plutôt à dépasser le clivage hommes/femmes en interrogeant les normes de genre ; et participer à un dépassement du patriarcat au passage.
Message modifié par son auteur il y a 3 ans.
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Caoline
le samedi 02 mai 2020 à 14h52
J'ai eu beaucoup de mal à le lire entièrement, tant je le trouve lourd et vraiment dans la binarité, le clivage, les stéréotypes, l'opposition. Je trouve qu'il désert les femmes en fait et embrouille tout... Bon il a 45 ans et même si il reste des difficultés pour beaucoup de femmes à vivre une sexualité épanouie, les points de vue ont quand même bien évolué.
Je suis d'accord avec Bequelune, la sexualité masculine aussi peut être bien plus riche et variée que celle stéréotypée qui est couramment présentée.
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artichaut
le samedi 02 mai 2020 à 18h11
Bequelune
D'autre part il a un coté très essentialiste qui m'a vraiment géné. Je me demande : pourquoi ce qui est ici décrit pour les femmes ne serait pas aussi valable pour les hommes ?
Caoline
je le trouve lourd et vraiment dans la binarité, le clivage, les stéréotypes, l'opposition.
C'est pour ça que j'ai fait cette mise en garde. Ce texte date d'une époque où la femme n'avait officiellement "pas de sexe". Aujourd'hui on connaît l'importance et l'étendue du clitoris. On sait que les orgasmes dit "vaginaux" ne sont autres que clitoridiens. Etc. A l'époque on ne savait pas ça.
Perso je comprends que quand tu vis dans un monde où on te dis que tu n'a pas de sexe, tu puisse avoir besoin de te construire une mythologie à partir de l'existant. Et je trouve ça très beau la manière dont Luce Irigaray le fait.
Quand j'ai découvert ce texte, il a été pour moi un chemin pour découvrir autrement la sexualité féminine, avant de revenir ensuite —nourri de ce chemin— vers la possibilité d'une sexualité masculine différente.
Il me semble que l'essentialisme, a-minima, peut être un outil, comme l'est la non-mixité. Et que par exemple, ça peut être un outil pour des personnes (hommes ou femmes) qui ne sont pas prêtent à accepter la non-mixité en tant qu'outil, pour ensuite tendre enfin vers une possible réconciliation.
Le chemin est long et les voies sont multiples. Cette forme d'essentialisme là, me semble en être une.
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Caoline
le samedi 02 mai 2020 à 18h24
artichaut
Le chemin est long et les voies sont multiples. Cette forme d'essentialisme là, me semble en être une.
Il me semble qu'il risque plutôt de le rendre encore plus long et potentiellement définitivement clivé, mais chaque chemin est différent, probablement qu'il y a des gens à qui ça peut convenir.
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artichaut
le samedi 02 mai 2020 à 18h49
En tout cas ce fut mon chemin. J'ai souvent eu besoin d'exemples et de modèles féminins pour aller à certains endroits. Il faut dire que d'exemples ou modèles masculins il y en a peu (ou je n'ai pas sû les trouver).
Aussi ce "clivage" me semble utile face à un autre type d'essentialisme (masculiniste quand il est porté par des hommes) qui voudrait, que par nature nous soyons humains avant d'être des femmes ou des hommes, et qui sert bien souvent de prétexte à invalider toute considération systémique.