Polyamour : un double standard ?
#

Fimus
le mercredi 03 juillet 2024 à 08h33
Bonjour à toutes et tous,
En préambule, je précise que mon post ici ne vise personne en particulier mais est simplement un sujet qui me turlupine depuis quelques mois et auquel je n'ai pas de réponse. Il s'agit d'un questionnement et je tâtonne sur le sujet donc je serai ravi de recevoir vos critiques constructives. Je fais donc appel à l'intelligence collective de ces forums pour avancer dans ma réflexion :)
Histoire de mettre directement les pieds dans le plat : j'ai la sensation que se constitue progressivement un double discours sur les relations plurielles et non exclusives selon qu'on soit une femme cisgenre ou un homme cisgenre, ce dont je vais discuter ici (note : j'ai l'impression que la question de la non exclusivité est plus acceptée dans les milieux queer ou, tout du moins, jugée moins sévèrement que chez les personnes hétéro. C'est quelque chose que j'ai pu entendre et observer à plusieurs reprises dans ces milieux mais je me trompe possiblement).
Je m'explique : au départ, il s'agissait surtout de remarques de parfait.e.s inconnu.e.s sur les réseaux sociaux ou qui ne connaissent pas grand-chose aux relations non monogames. Et puis j'ai entendu des discours publics sur le sujet qui faisaient clairement une distinction dans le polyamour en fonction de qui s'en revendique. Le dernier exemple en date vient de l'émission Question Q sur le polyamour. Une journaliste explique alors ce qu'est le polyamour, qu'il s'agit d'un mode de relation éthique, transparent et féministe. Jusqu'ici, rien de choquant, je suis globalement d'accord. Et puis, à un moment, quelque chose m'a fait tiquer. Je vous reproduis le passage :
" En France, en l’occurrence, sur des applications de rencontres comme Tinder par exemple, il y a beaucoup d’hommes, de plus en plus d’hommes, qui mettent "polyamoureux" dans leur biographie [rire général autour de la table] C’est parfois un petit red flag qui veut dire "en fait j’ai envie de relations multiples mais sans m’engager avec personne". Et donc du coup moi ce que je conseille, souvent, c’est si une personne, en l’occurrence un homme, met tout de suite « polyamoureux » dans sa bio, il faut soit creuser un petit peu, soit se dire "bon, c’est pas très sérieux, j’y vais pas". Je pense que le polyamour c’est important d’en discuter dès les débuts, surtout dès qu’on sait qu’on l’est. Donc, du coup, dès le début on commence à en discuter. Je ne sais pas si on peut en faire quelque chose qu’on met dans sa bio. Et en plus, encore une fois, c’est quelque chose que les hommes peuvent mettre dans leur bio mais les femmes elles ne le feront pas, par exemple Parce que c’est beaucoup plus stigmatisé et pas du tout vu de la même manière."
Ce discours m'a mis mal à l'aise. Outre l'aspect normatif ("le polyamour c'est comme ça et pas autrement"), je trouve qu'il y a un message contradictoire derrière tout ça : cette journaliste prône la transparence, le fait de parler du polyamour si on s'en revendique (et je suis entièrement d'accord) mais le dénie, dans le même temps, aux hommes qui ne voudraient, selon elle, que vivre des relations multiples. Au-delà du jugement de valeur qui me semble être fait entre des "relations multiples" et des "relations engagées" (la différence est fine et je ne vois pas, encore une fois, où est le problème si tout le monde est d'accord ni qu'il y ait une valeur plus importante à des relations qui durent dans le temps, fussent-elles polyamoureuses ou pas) je trouve que c'est un message pas forcément pertinent pour pousser les gens à s'intéresser à ce mode relationnel (qui peut ne pas convenir à tout le monde mais qui gagnerait à être connu, au moins pour que les personnes puissent choisir librement le mode de relation qui leur convient). Ce qui fait que des hommes poly ou qui se questionnent sur les relations avec qui j'ai pu discuter me disent qu'ils en viennent à taire cette partie de leur identité ou abandonnent l'idée de se lancer. Un exemple tiré d'un compte Instagram dédié au couple ouvert: des hommes y déclaraient que si s'intéresser aux questions liées aux relations leur avait fait beaucoup de bien et que nombre d'entre eux étaient des féministes convaincus, ont jugeait également beaucoup leur mode relationnel en les accusant de ne vouloir que du sexe. Si bien que certains doutaient de poursuivre dans cette voie (ce qui est dommage, car on perd des alliés potentiels).
Je sais qu'il y a des hommes qui se cachent derrière le polyamour (ou la non exclusivité de manière générale) pour enchaîner les relations. Je n'ai rien contre ça (enchaîner les relations), si tout le monde est d'accord et conscient du contrat (bien entendu, si c'est fait de manière non éthique, j'ai un problème). Je ne fais aucune distinction entre des relations d'un soir ou qui durent dans le temps, qu'il s'agisse de polyamour, de libertinage, de polybertinage ou de couple ouvert. Je sais qu'il y a une salopophobie latente (et le mot est faible) pour de nombreuses femmes, que le fait de se lancer dans le polyamour quand on en est une est compliqué et soulève pas mal de préjugés et que nos sociétés partent de loin dans ce domaine (mais eh, vive le féminisme pour toutes et tous !). Je sais aussi qu'il y a des femmes non exclusives pas très éthiques (j'en ai rencontré et fréquenté), tout comme il y a des hommes qui promettent monts et merveilles et fidélité absolue pour mieux tromper à la première occasion. Il y a des comportements qui ne sont pas éthiques dans tous les domaines, les relations plurielles n'y font pas exception. Cependant, j'ai l'impression que de plus en plus de discours parlant d'un polyamour féministe pour les femmes (car synonyme de reprise de contrôle sur le corps et la sexualité, d'indépendance et de relations plus égalitaires, au moins dans la théorie) et d'un polyamour pour les hommes qui ne serait prétexte qu'à avoir du sexe à tout-va. Comment peut-on prôner la déconstruction des normes et des stéréotypes si c'est pour en recréer d'autres derrière ? J'ai pourtant l'impression (mais encore une fois, ça n'a aucune valeur sociologique et ce n'est basé que sur mes modestes observations) d'une réflexion féministe plus poussée chez des hommes qui se lancent dans la non-exclusivité que chez des hommes qui adoptent une masculinité plus proche des standards attendus (donc virilistes). Les premiers ont davantage conscience, au moins dans les mots employés, de la masculinité hégémonique, des privilèges liés à leur genre et questionnent tout cela (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dérives). A l'inverse, les seconds ne veulent généralement pas entendre parler de polyamour, jugent la chose très durement et ne jurent que par le très sacro-saint couple exclusif.
J'avais eu une discussion assez houleuse durant ma dernière relation (exclusive) où ma compagne avait déclaré, sans avoir creusé le sujet, que "90% des mecs polyamoureux voulaient baiser tout ce qui bougeait". En lui demandant d'où elle tenait ce chiffre, elle m'avait répondu que "c'était évident, tout le monde savait ça". Cette discussion m'avait pas mal interrogé et n'aurait pas été plus loin si je n'avais pas entendu d'autres déclarations de ce genre, envers d'autres hommes ou même envers moi ("Ah tu es polyamoureux ? T'es un gros queutard en fait ?" ai-je déjà eu droit à plusieurs reprises, sans aucune connaissance de mon parcours ni de qui j'étais).
Est-ce que je me trompe ? Est-ce que je vis dans le monde des calinours (bisounours pour nos ami.e.s français.e.s) ? Qu'en pensez-vous ?
(désolé pour le pavé et les éventuelles confusions/maladresses, ce sujet me taraude pas mal et je me suis laissé emporté par ma plume)
#

Hestia
le mercredi 03 juillet 2024 à 09h23
Ma réponse sera aussi personnelle et vu de ma maigre expérience ;)
Globalement, la moitié des hommes avec qui j'ai relationné sous le terme polyamour... Ce n'était pas éthique. Donc pas du polyamour de mon point de vue. Peu de transparence dans les attentes, la charge relationnelle qui repose sur la femme (moi en l'occurrence), une difficulté a communiquer (comme beaucoup de mec cis, mais a ajouter à la multiplication des relations, ça multiplie les problèmes)... Actuellement la relation que j'ai est avec un homme polyA et j'aime beaucoup cette relation... mais si je crée d'autre relations dans le futur, sans que le polyamour soit rédhibitoire, un homme qui se revendique poly, je me mefierai plus en effet, parce que c'est impossible de savoir si il est réellement poly avec une chouette éthique et des vrai velléités de deconstructions et de communication derrière ou juste de multiplier les plans culs sans se prendre la tête sans oser l'annoncer clairement (en soit il/elle a le droit... Mais fait l'assumer, pas le faire subir aux autres en baratinant plein de trucs).
Mais de la même manière qu'un homme qui m'explique en long et en large qu'il est féministe et que vraiment il comprend les femmes ... Je m'en mefierai.
Je ne sais pas si ça t'aide....
#

Fimus
le mercredi 03 juillet 2024 à 10h02
Merci pour ta réponse @Hestia ! Peu importe que cela provienne d'une expérience personnelle (après tout, mon message partait justement de ça), c'est toujours pertinent d'avoir des transferts d'expérience.
Je comprends ton point. Je me demande : est-ce que ce manque d'éthique provient d'une malveillance (je ne trouve pas de mot adapté) de leur part ou de maladresses dû à un manque d'expérience dans le domaine ? Certes, les conséquences sont les mêmes mais dans le second cas, c'est une situation potentiellement récupérable (même si cela implique une forte remise en question de la part de ces personnes) alors que dans le premier, c'est peine perdue.
Peut-être que je vois trop loin mais ça me questionne à long terme. Parce qu'à court terme cela implique possiblement une certaine défiance donc à un blocage. Comment on fait avancer tout ça sans se regarder avec méfiance ? J'ai limite envie de faire un parallèle avec la situation politique en France, où différents blocs s'affrontent ce qui ne fait rien avancer (je ne sais pas si c'est clair, il est un peu tard)
#

Hawkeye
le mercredi 03 juillet 2024 à 10h19
Je ne sais pas si le problème ne vient pas de l'utilisation du terme polyamoureux.se comme adjectif qualificatif de la personne. Est-ce qu'un individu se qualifie d'amoureux.se ? Selon moi il le fait uniquement quand il a une personne dont iel est amoureux.se. Je pense que cet adjectif ne devrait s'appliquer qu'à la relation entre 2 personnes pour la qualifier et ainsi dire qu'elle est éthique et non exclusive.
Donc oui pour moi aussi se qualifier de polyamoureux.se est un mauvais raccourci et il dit surtout, pour un homme comme pour une femme qu'il peut avoir des sentiments amoureux pour plusieurs personnes en même temps. On lit souvent des témoignages de personnes qui ont une "révélation polyamoureuse" parce qu'elles sont engagées dans une relation, et tombent amoureuse d'un.e autre sans pour autant vouloir mettre fin à la première relation ou ne plus avoir de sentiment pour cette première personne.
En conclusion, pour moi, un homme polyamoureux ou une femme polyamoureuse ça n'existe pas.
Donc en partant de là oui pour moi une personne qui se dit polyamoureux.se, va être une personne qui ne cherche qu'à profiter du Buzz autour du terme polyamour pour justifier d'avoir des relations avec plusieurs personnes. Ce n'est qu'en examinant le caractère éthique, réciproque, honnête de chaque relation, leur équilibre que le terme polyamour pourrait être utilisé.
Message modifié par son auteur il y a un an.
#

Alinea7
le mercredi 03 juillet 2024 à 14h48
Est-ce que c'est vraiment un double standard si les femmes qui ont profil poly sont considérées comme des sal#pes et les hommes comme des queutars ?
Par ailleurs il me semble que le niveau d'investissement dans la communication et le soin de la relation est un reproche encore fait aux hommes sur une base générale donc ce n'est pas une problématique spécifiquement poly sur cet aspect qui est quand même en lien avec la qualité de la relation.
Hawkeye
Je ne sais pas si le problème ne vient pas de l'utilisation du terme polyamoureux.se comme adjectif qualificatif de la personne. Est-ce qu'un individu se qualifie d'amoureux.se ? Selon moi il le fait uniquement quand il a une personne dont iel est amoureux.se. Je pense que cet adjectif ne devrait s'appliquer qu'à la relation entre 2 personnes pour la qualifier et ainsi dire qu'elle est éthique et non exclusive.
A la fois je suis d'accord avec toi et à la fois j'ai envie d'élargir.
Je suis complètement d'accord que poly s'applique à une relation, une situation de vie concrète et que ça ne se décrète pas.
Et en même temps pour en connaître, pour moi des personnes peuvent se qualifier de poly dans le sens où c'est aussi une manière d'être en relation et pas juste un qualificatif de ce qu'ils cherchent ou ce qu'ils vivent concrètement. Pour moi ces personnes sont "polys" même quand ils sont célibataires, de la même manière qu'une personne peut être possessive même célibataire : ça se verra que dans le cadre d'une relation mais ça traduit un système de valeurs.
Mais du coup pour éviter les confusions il faudrait sans doute un autre terme. Là on a le même terme pour dire "j'ai le droit de faire ce que je veux" et "je ne suis pas possessif et je respecte la liberté de vie de mes proches".
#

artichaut
le mercredi 03 juillet 2024 à 16h55
Fimus
Histoire de mettre directement les pieds dans le plat : j'ai la sensation que se constitue progressivement un double discours sur les relations plurielles et non exclusives selon qu'on soit une femme cisgenre ou un homme cisgenre
La communauté poly n'est pas en dehors du monde, donc le patriarcat y agis ici comme ailleurs.
Devenir poly n'est pas un badge magique qui te fait devenir meilleur. Limite ça peut avoir tendance à accentuer un peu ce qui est déjà là. D'une part car, si tu es quelqu'un qui tente de déconstruire des choses, ça va potentiellement augmenter tes réflexions et peut-être te rendre meilleur sur certains points. D'autre part car les endroits où tu fait de la merde (je pars du principe qu'un mec cis qui n'en fait pas, ça n'existe pas), tu va généralement te retrouver à faire de la poly-merde (de la merde multiplié par le nombre de relations).
Et quand déjà tu sais pas gérer correctement une relation, c'est pas de les multiplier qui va arranger les choses.
Fimus
Je vous reproduis le passage :
" …ce que je conseille, souvent, c’est si une personne, en l’occurrence un homme, met tout de suite « polyamoureux » dans sa bio, il faut soit creuser un petit peu"
C'est bien de faire la distinction entre une étiquette, qu'effectivement certains vont utiliser de manière hypocrite et manipulatoire (celle-ci comme tant d'autres). Et le fait d'être vraiment dans une démarche "éthique" ou autre.
Donc le conseil de ne pas se fier à l'étiquette et au contraire de creuser un petit peu, me semble tout à fait judicieux, voire même salvateur.
Fimus
Les premiers ont davantage conscience, au moins dans les mots employés, de la masculinité hégémonique, des privilèges liés à leur genre et questionnent tout cela (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dérives). A l'inverse, les seconds ne veulent généralement pas entendre parler de polyamour, jugent la chose très durement et ne jurent que par le très sacro-saint couple exclusif.
Tu compare deux choses qui n'ont rien à voir. Évidemment que les mono ne veulent pas entendre parler de polyamour, c'est ce qui les définit.
C'est comme si tu disais : les francophones ont davantage conscience des problèmes climatiques, mais les anglophones parlent anglais.
Non ?
Fimus
"Ah tu es polyamoureux ? T'es un gros queutard en fait ?" ai-je déjà eu droit à plusieurs reprises, sans aucune connaissance de mon parcours ni de qui j'étais
J'ai l'impression que ce qui te gêne c'est de te sentir jugé et catalogué.
Que les mecs (poly ou non) le soient dans leur ensemble (jugés et catalogués), est une chose. Et c'est assez compréhensible au vu de ce que subit quotidiennement et depuis des lustres la gente féminine. Mais à part le fait que probablement tu appartient à cette catégorie-là, ça n'est pas spécifiquement de toi qu'il s'agit (juste d'une partie de ta construction sociale).
Oui sans doute que certaines personnes jugent et cataloguent un peu trop vite et à tord.
Mais au vu de l'histoire des genres, tu ne peut pas empêcher les femmes hétéros d'être méfiantes, qui au demeurant ont raison de l'être, mais tu peux continuer d'aller vers des démarches plus "éthiques" si tel est ton chemin.
Si tu te sent jugé, tu peux l'exprimer pour toi, mais inutile d'aller défendre la classe des hommes dans son ensemble (ça me semble la fois glissant et peine perdue).
#

artichaut
le mercredi 03 juillet 2024 à 17h43
Finalement la question sous-jacente (et récurente, bien que rarement formulée), ça pourrait être : comment faire, lorsqu'on appartient à un groupe dominant, pour ne pas culpabiliser et réussir à vivre sans se sentir en permance jugé et catalogué ?
Problématique qui au demeurant appartient aussi au groupe dominé (ne pas culpabiliser et réussir à vivre sans se sentir en permance jugé et catalogué) mais pas de la même manière.
Comment faire pour ne pas culpabiliser d'être un mec et réussir à vivre sans se sentir en permance jugé et catalogué du fait d'appartenir à ce groupe ?
Sachant qu'on peut de sucroît appartenir à plusieurs groupes dominants en même temps (de genre, de classe, de "race" sociale, etc).
Inversement, à condition de considérer le "polyamour" non pas comme une simple étiquette opportuniste, mais comme une orientation affective et relationelle minoritaire, on peut estimer que c'est une catégorie socialement dominée au sein du vaste système socialement dominant de la monogamie.
Donc en tant que mec cis poly, tu te retrouve à la croisée de plusieurs schèmes systémiques.
Et il peut être utile de faire la part de ce qui appartient à tel ou tel groupe, en plus de ce qui t'appartient à toi en propre, ou lié à d'autres catégories sociales auxquelles tu appartient.
Ces catégories sociales, et cette pensée systémique ne réduit pas tout, et ne suffisent ni à te définir, ni à résumer qui tu es. Mais de fait, on vit dans un monde où il est difficile d'échapper à ces catégories.