"Tu ne dois pas ressentir ça"
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LuLutine
le dimanche 30 janvier 2011 à 14h49
(J'ai posté dans "hors-sujet" car le genre de situation que je vais décrire se produit sans que le contexte soit forcément lié au polyamour ; si je poste ici c'est parce que je pense avoir des réponses qui pourront me faire avancer. Merci !)
J'avais un malentendu à régler avec un ami (mais ç'aurait pu être un membre de ma famille, ou un(e) collègue, ou même un amoureux).
Je tire donc profit d'un moment que nous avons de libre pour en discuter. Je m'efforce d'utiliser une communication de type "communication non-violente".
J'énonce donc une phrase du type : "Lorsque tu as [fait ceci], j'ai éprouvé [tel sentiment]."
Ce genre de phrase a le mérite:
- D'être objective ("tu as [fait ceci]" décrit une action que la personne reconnaît avoir fait et/ou qui est indiscutable - ce qui était le cas) ;
- D'être indéniable ("j'ai éprouvé [tel sentiment]" ne peut pas être discuté par l'autre puisqu'il ne peut pas savoir à votre place ce que vous éprouvez, cette information ne peut donc pas être rejetée puisqu'à moins d'être un menteur, vous dites bien ce que vous ressentez).
En résumé, ça permet de donner à l'autre des informations utiles pour répondre et/ou agir en toute connaissance de la situation. Suite à ce genre de propos, et lorsque j'ai exprimé un sentiment négatif (honte, tristesse, colère etc.), je m'attends en général à deux types de réactions (j'ai eu droit aux deux dans ma vie, d'ailleurs) :
- Soit la personne en face de vous vous répond : "Je suis désolé(e) que ce que j'ai fait t'ait blessé(e), mais c'est ma manière de fonctionner et je ne la changerai pas" (réaction tout-à-fait valable de sa part) ;
- Soit elle dit : "Je suis désolé(e), je ne voulais pas te blesser, et maintenant que je sais ce que cela te fait, je ne le referai plus."
Or cette fois-ci, la personne m'a répondu : "Tu ne dois pas ressentir ça."
Je passe sur ma réaction et la suite de la discussion, j'attends d'abord d'avoir vos réactions et avis sur cette réponse.
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(compte clôturé)
le dimanche 30 janvier 2011 à 15h22
Difficile d'avoir un avis à l'aveugle comme ça...
Mais à chaud, je trouve évidemment cette réponse absurde et manipulatrice. Il t'explique ce que tu "dois" ressentir et implicitement te culpabilise de ressentir autre chose. Une bonne façon de retourner le désaccord. Tu venais lui présenter quelque chose qui te gêne venant de lui, et il s'en débarrasse en transformant ton malaise en erreur venant de toi.
Mon avis qui n'engage que moi...
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(compte clôturé)
le dimanche 30 janvier 2011 à 15h55
Un ressenti n'est pas contrôlable, alors la phrase de ton ami, "tu ne dois pas ressentir ça....me semble controverse.
Tu as tout a fais le droit d'avoir un ressenti, et d'en discuter avec lui, c'est la base même d'un couple de se donner des règles, quelles soient positives ou négatives.
Sa réaction est très égoiste, je dirais même égocentrique, puisqu'il la retourne en sa faveur..
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LuLutine
le dimanche 30 janvier 2011 à 16h10
madeline59
Un ressenti n'est pas contrôlable,
C'est une des choses que je lui ai dites.
madeline59
c'est la base même d'un couple de se donner des règles
Il ne s'agit pas ici d'un couple (si tu l'utilises dans le sens "couple amoureux"), si tu me relis bien.
Mais je crois que ce que tu dis reste valable pour toute relation (amicale, professionnelle, amoureuse...), qui ne peut fonctionner correctement que si l'on communique et qu'on respecte certain(e)s principes/règles commun(e)s (qu'ils soient édictés explicitement, ou implicites).
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wazaaa (invité)
le dimanche 30 janvier 2011 à 16h19
Hello Lulutine,
Il me semble que le nœud du problème se situe dans le fossé entre ta propre conscience et ta mise en pratique de certains outils de communication (parler en « Je », énoncer des faits, différencier ceux-ci de tes opinions et de tes sentiments) et, sauf erreur de ma part, l’ignorance de ces outils-là de la part de ton interlocuteur.
Ils sont excellents quand les deux personnes (ou plus) sont bien au fait de leur existence et s’efforcent de les utiliser, sinon c’est un peu comme se lancer dans un montage de modèle réduit sans la marche à suivre.
Cette personne pratique-t-elle ces outils, les connaît-elle même ? Si oui, je parie que ce que tu as exprimé est tellement heurtant pour elle, la trouve tellement en défaut sur quelque chose qui la met déjà mal à l’aise à la base, qu’elle en perd ses moyens. Et probablement que tes sentiments pour elle te mettent dans un état d’attente à l’égard de ses possibilités de communication, alors qu’elles sont moindres, ou momentanément oblitérées.
Bref, avant de reparler de ce que tu voulais lui dire, de ce que tu voulais qu’elle entende, un petit détour par les basiques que tu évoques ne serait pas du luxe ? Relire ensemble le mode d’emploi ? comme ça tu pourrais lui parler d’abord de tes attentes en matière de communication ?
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wazaaa (invité)
le dimanche 30 janvier 2011 à 16h25
Oups, j'oubliais les bons guides que sont l'écoute active et de la reformulation, parmi ces bons outils.
Et pour avoir éprouvé la difficulté à y "coller", c'est-à-dire à garder une distance avec ce qui est dit... je voudrais dire aussi que c'est pas mal de se pratiquer un peu avec des personnes plus neutres et qui connaissent aussi ces outils, et sur des sujets pas trop "chauds".
Mais bon, une fois de plus, quand seule un des deux interlocuteurs connaît ces outils, elle ne peut pas les connaître pour deux, ni faire le travail pour deux.
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LuLutine
le dimanche 30 janvier 2011 à 16h26
wazaaa
l’ignorance de ces outils-là de la part de ton interlocuteur.
Justement, j'ai déjà utilisé ces "outils" comme tu les appelles, avec des interlocuteurs ne les connaissant pas. Parfois, ils ont cru au début que je leur reprochais quelque chose, mais lorsqu'il a été clair que j'exprimais juste mon ressenti, en général ils répondaient plutôt de manière constructive en énonçant leur point de vue (comme je le présentais dans mon premier message).
Ca m'a toujours permis d'avancer en ayant des réponse claires, jusqu'à maintenant.
wazaaa
tu pourrais lui parler d’abord de tes attentes en matière de communication ?
Déjà fait lors de la discussion qui a suivi, puisque comme tu le dis je me suis rendue compte que cette personne en plus de ne pas être au fait de ce type de communication, recevait très mal mon message.
La personne en question est restée sur ses positions : "Tu ne dois pas ressentir ça".
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wazaaa (invité)
le dimanche 30 janvier 2011 à 16h34
Bon... essayé - pas pu, comme on dit.
C'est une chose que vous n'avez pas en commun, et tout comme on ne peut aimer pour deux, communiquer pour deux n'est pas possible.
Pour ma part, j'aime bien le principe de réciprocité et de partage du travail quand il y a du boulot à faire sur la relation. Mais quand il y a du boulot à faire sur soi, ce n'est pas à l'autre de faire le travail, même si c'était possible.
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LuLutine
le dimanche 30 janvier 2011 à 16h41
wazaaa
communiquer pour deux n'est pas possible.
Oui.
wazaaa
quand il y a du boulot à faire sur soi, ce n'est pas à l'autre de faire le travail, même si c'était possible.
Ca c'est sûr.
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tentacara
le dimanche 30 janvier 2011 à 17h38
Je crois qu'en te disant "tu ne dois pas ressentir ça", il te dit surtout "mon intention n'était pas de te faire ressentir ça". Il peut ne pas remettre en cause ton sentiment, mais ne pas comprendre que tu le ressentes étant donné qu'il ne l'avait pas anticipé. Cela rejoint un peu ce que disait Wazaaa sur un problème dans les modes de communication. Je cherche une explication plausible tellement la thèse selon laquelle il prétendrait te dire ce que tu "dois" ressentir ou non me paraît absurde.
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LuLutine
le dimanche 30 janvier 2011 à 17h42
tentacara
ne pas comprendre que tu le ressentes étant donné qu'il ne l'avait pas anticipé.
C'est justement parce qu'on voit que la personne n'a pas anticipé notre sentiment qu'on lui en parle explicitement. Les autres gens avec qui j'ai eu ce genre de conversations n'ont toutefois pas réagi de la même manière...
tentacara
Je cherche une explication plausible tellement la thèse selon laquelle il prétendrait te dire ce que tu "dois" ressentir ou non me paraît absurde.
Ca me paraît absurde aussi...
Mais dans la suite de la discussion, il a prétendu savoir exactement ce que j'avais dans la tête, et a déclaré que je devais changer, que je ne devais pas continuer à penser ça, à ressentir ça, etc.
J'ai le sentiment que, confronté à quelqu'un qui ne fonctionne pas comme lui, au lieu de prendre acte du fait qu'on n'a pas le même fonctionnement (ce que j'ai fait de mon côté), il voudrait que je sois quelqu'un d'autre.
J'ai essayé d'expliquer que je pouvais agir différemment (aucun problème de ce côté-là), mais pas penser et ressentir différemment...
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wazaaa (invité)
le dimanche 30 janvier 2011 à 17h59
S’il est prescripteur à ce point-là, si en effet il voudrait que tu sois quelqu’un d’autre, là je me poserais des questions sur l’opportunité de continuer à se voir ; d’autant plus que, si tu permets ce parallèle… comme il est lui-même et pas quelqu’un d’autre, tu ne vas pas pouvoir le faire changer non plus.
En effet, comme tu le dis, ces outils de communication marchent avec d’autres gens, mais pas avec lui. Tous les deux, vous n’êtes que vous-mêmes, et pas des autres personnes qui penseraient, ressentiraient et s’exprimeraient autrement, juste parce que l’autre pense que ce serait mieux qu’il en soit ainsi.
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LuLutine
le dimanche 30 janvier 2011 à 18h03
wazaaa
je me poserais des questions sur l’opportunité de continuer à se voir
Oui, c'est exactement ce que j'ai fait ; je ne pense pas le revoir, justement pour les raisons que tu évoques.
Maintenant, ça m'intéresserait tout de même d'avoir d'autres réactions à mon premier message, si d'autres gens passent par là !
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wolfram
le dimanche 30 janvier 2011 à 18h07
c'est un problème complexe...
de son point de vue, il y aurait une norme au ressenti... "tuer une bête pour manger est barbare !", réponse possible : "non, tu ne dois pas ressentir cela"... il n'empêche que des gens deviennent végétariens pour ce type de raison...
donc, il y a bien un ressenti qui peut sortir de son schéma mental... son problème est alors de l'accepter.
en revanche, en disant penser ce que tu ressens, il semble plutôt exprimer un manque de confiance dans ta parole... il arrive aux gens de dissimuler leurs véritables sentiments... as-tu évoqué avec cette personne la possibilité qu'elle doute de ce que tu lui dises ?
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LuLutine
le dimanche 30 janvier 2011 à 18h17
wolfram
as-tu évoqué avec cette personne la possibilité qu'elle doute de ce que tu lui dises ?
Oui, en un sens.
Concrètement, quand cette personne m'a dit savoir ce que je pensais et/ou ressentais, je pense lui avoir démontré le contraire. Mais puisque je suis la seule à pouvoir vérifier mon ressenti et mes pensées directement, il me semble en effet que je n'ai pas été crue.
Quand je lui ai dit : "Comment pourrais-tu savoir ce que j'ai dans la tête ?", la réponse a été : "Je le sais."
Rétrospectivement, je trouve cette affirmation très prétentieuse....et je trouve aussi égoïste de vouloir que j'évolue selon son bon vouloir.
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Siestacorta
le dimanche 30 janvier 2011 à 20h24
Il y a le double sens de "tu ne dois pas ressentir", injonction et doute. Le mélange peut même avoir lieu, mais pas forcément au moment qu'on croit.
Si la personne ne pratique pas elle-même un peu de distance, de se forcer à se détacher de son ressenti, il te met en cause parce que justement il n'a pas l'habitude du doute, de l'incertitude. Il ne doute pas de toi, il a une conviction contraire.
Je dis évidemment pas qu'il a raison... Sa réponse peut faire comprendre qu'il a une conviction, sans que tu aies à la partager.
Mais quand l'autre exprime ainsi une conviction à notre propos, quand il dit "tu ne dois pas ressentir ça" ("mais plutôt ça', implicitement), est-ce qu'on a toute légitimité de croire que lui-même "ne doit pas ressentir" cette conviction ?
Poser les choses de façon neutre, essayer la communication non-violente, ça favorise bien sûr un échange fertile. Malgré cela être compris n'est jamais garanti, et le pire, c'est que si on veut être honnête, à un moment, on ne peut pas faire mieux, on ne peut pas reprocher à l'autre de ne pas faire mieux. On peut juste rester prêt à la réouverture d'un dialogue...
Message modifié par son auteur il y a 12 ans.
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Tigre (invité)
le dimanche 30 janvier 2011 à 20h49
Pas aussi optimiste que Tentacara par exemple.
Les manipulateurs ne sont pas majoritaires, mais si on regrade la hierarchie dans le monde professionnel par exemple, ce n'est pas non plus une espece en voie d'extinction.
Dire ce que l'autre doit penser, c'est peut etre etre incapable d'accepter le debat, le conflit ne serait-ce que sur un plan intrapsychique sous la forme du doute. C'est aussi souvent avoir besoin du pouvoir et du controle sur l'autre pour apaiser ses propres angoisses. Il y a des tas de bouquins ecrits sur le sujet: le résumé pourrait etre: avec les manipulateurs; on perd son temps et on gaspille sa salive. Ils ne changent que tres rarement.
Maintenant, si c'est quelqu'un a qui tu tiens, tu peux relever les manipulations et reconflictualiser ce qui est évacué par son discours.
Si c'est quelqu'un qui a du pouvoir sur toi, qui a une structuration narcissique, envieuse: un conseil pratique, n'excite pas son envie ou sa jalousie, tu pourrais vite te retrouver dans le collimateur et il t'expliquerait en plus que tu ne dois pas reagir avec colere...
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(compte clôturé)
le dimanche 30 janvier 2011 à 21h12
"Tu ne dois pas ressentir ça" peut s'entendre en "tu ne devrais pas ressentir ça" (sous-entendu parce que ce n'est pas ce que j'ai voulu, parce que tu m'as mal compris) ou bien peut s'entendre en " je sais ce que tu devrais ressentir, et je peux te dire que ce n'est pas ce que tu a ressenti." Dans les deux cas, expression, d'un malentendu ou attitude autoritaire, je crois que la seule réponse est "que mon ressenti corresponde ou non à la réalité, l'important est que je l'ai ressenti et que tu n'arrives pas à le comprendre ou à l'admettre."
Quand il fait 15° dehors, certains pensent "il fait bon", d'autres "il fait frais" (ça dépend aussi si c'est en janvier ou en août). Peu importe les 15°, l'important est leur ressenti.
Si vraiment il ne veut pas comprendre ni écouter, ce n'est peut-être pas très utile de t'obstiner à discuter avec lui... plutôt usant.
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Siestacorta
le dimanche 30 janvier 2011 à 21h49
Je lis que la personne qui dit "tu ne dois pas penser ça" serait manipulatrice, puisqu'elle souhaite nous changer.
C'est une possibilité. Mais on est pas des anges non plus, et je reviens sur ce que je disais plus haut, "tu n'as pas à avoir de conviction à mon propos" étant finalement équivalent à "tu ne dois pas ressentir ça".
On peut être de bonne foi, pratiquer une communication non-violente... et être finalement très exigeant envers l'autre.
Et qui nous donne ce droit ?
On engage l'autre à nous respecter et nous comprendre... Mais ça n'engage que nous. On ne peut communiquer que si l'autre le désire aussi... Si ça n'a pas lieu, on peut juste être prêt quand ça lui prendra (je me répète un peu, je le crains).
Message modifié par son auteur il y a 12 ans.
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Tigre (invité)
le dimanche 30 janvier 2011 à 22h19
@siesta
les manipulateurs sont rarement prochangement sauf quand il y a un benefice pour eux à la clé. Ils ne veulent pas convainvre d'une alternative "emotionelle" plausible ou possible (ils s'en fichent a priori) mais deplacer le debat vers une zone sans danger pour leur propre fonctionnement homeostatique ou leur pouvoir dans une institution.
C'est une mise sous clé de la communication parcequ'il y a danger/risque de debat/conflit et donc de veritable changement.
Maintenant on peut vouloir influencer quelqu'un sans vouloir nier ses affects et les recadrer: le langage therapeutique, la negociation syndicale ou meme une discussion amicale pour mettre à jour une impasse chez un proche ne sont constructifs que si on reconnait à chacun le droit de "secouer" l'autre eventuellement meme de maniere conflictuelle, en tout cas sans nier le ressenti de chacun sans quoi on tombe vite dans une operation de camouflage.
En discutant avec une amoureuse de ma difficulté à gérer le manque: elle ne m'a pas dit tu ne dois pas souffrir du manque: elle m'a dit "je gere le manque autrement": ce n'etait pas manipulateur, cela ouvrait sur un autre possible que j'investis tranquillement, à mon rythme.
Mais je suis à la fois prudent et sceptique: recadrer les affects de l'autre est pour moi plus une volonté de se proteger du risque de l'angoisse et du changement; il est vrai cependant qu'une seule sequence de communication isolée est beaucoup trop peu pour diagnostiquer un "profil" manipulateur.