Les relations sont des conversations
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crest
le mardi 18 février 2025 à 11h26
Salut,
Dans l'effort pour trouver un autre paradigme relationnel (*), je propose la notion de conversation.
L'avantage de la conversation est qu'elle est commune à tout type de relations (amitié, amour, voisinage etc). C'est une notion plus précise que la notion fourre-tout de communication qu'elle englobe toutefois.
Une relation, un lien avec une autre personne, c'est une conversation qui continue. Une séparation c'est une conversation qui s'arrête. Qu'il s'agisse d'un lien amical ou d'un lien amoureux, la conversation est à la fois un art et quelque chose que les gens font spontanément. Revoir la personne avec qui on est liée, c'est poursuivre une conversation que seul le temps et l'espace ont interrompu, mais qui ne s'est pas arrêtée. La conversation tricote le lien, c'est elle qui lui donne sa forme spécifique, originale ou hors norme.
Quand on revoit la personne on reprend souvent des thèmes de conversations abordées auparavant. Partager sa vie quotidienne avec une personne, c'est avoir des conversations. Se séparer, c'est ne plus avoir de conversation. Une conversation peut être ennuyeuse et superficielle mais c'est alors le lien qui l'est aussi. Une relation en crise se lit à la difficulté d'avoir des conversations, qui patinent. Un monologue même en présence d'autrui n'est pas une conversation.
La conversation peut demander un effort, au début ou au cours d'une relation. On l'entretient pour faire durer un lien à quoi on donne de la valeur ; si on le fait pas, la relation peut s'arrêter. Ça peut être une charge mentale, c'est une activité genrée et dénigrée comme étant du bavardage, parce que avoir une conversation ne produit pas de valeur au sens marchand ou capitaliste. Cependant ce sont les conversations qui font les liens sans quoi aucun être humain ne peut exister. Mener une vie sans avoir besoin de faire l'effort d'entretenir des conversations c'est peut-être se reposer sur les autres pour le faire.
On pourrait décrire n'importe quelle relation sous la forme d'une conversation, y compris dans sa dimension sexuelle ou corporelle. Certaines personnes seront moins à l'aise avec les mots mais plus à l'aise avec leur corps. J'aurais donc envie d'étendre la notion de conversation au-delà de la communication verbale. Mener des activités ensemble, de concert, mettre en commun des ressources à plusieurs, c'est aussi poursuivre une conversation. En retour, les actions concrètes, la dimension matérielle de la vie, ce qui est mis en commun au sens large se reflète dans les conversations verbales. Les conversations fabriquent aussi la réalité au sens où elles valident les visions qu'on les gens d'eux-mêmes et du monde : les conversations sont des points d'appuis indispensables à l'existence.
C'est aussi une notion suffisamment neutre pour pouvoir à la fois :
1) qualifier différents types de relations sans les hiérarchiser
2) rendre justice aux différences profondes existant entre ces types de relations
On pourrait ainsi considérer les relations les plus importantes dans la vie des gens comme le résultat d'une densification de conversations, qui deviennent si fréquentes et si multiples dans leurs thématiques qu'elles couvrent la plupart de ce qui importe aux partenaires, de façon si vaste qu'on peut oublier que le sentiment qui est résulte (amoureux ou autre) est le résultat d'une activité concrète : la conversation. Toutes les relations sont donc performatives, puisque ce sont des conversations qui les font exister.
Peut-on avoir une conversation à plusieurs ? Ça dépend et l'expérience montre qu'il n'est pas si simple de faire entrer une nouvelle personne dans une conversation existante, que ce soit pour que la personne nouvelle puisse y avoir une part active, ou que ce soit pour la conversation de départ ne soit pas interrompue ou soit toujours possible. Le résultat est que la conversation sera différente. Les conversations sont donc toujours un peu fermées au départ, avant d'inclure ou non d'autres participants.
Toute conversation est exclusive au départ parce que le tour qu'elle prend dépend fortement des protagonistes et de l'histoire de ce qu'elles ont pu mettre en commun. Il n'est jamais très simple de parler d'une conversation à une autre personne qui n'y a pas participé ; généralement on en fait un résumé grossier et on se trouve fréquemment obligé de faire de la traduction, afin de faire correspondre ce qui est dit ailleurs avec une autre conversation.
L'exclusivité d'une conversation est la conséquence de la familiarité et de l'aisance qui se produit par la répétition, de sorte que les mots et les gestes ont une signification à la fois très particulière pour les personnes impliquées (difficilement traduisibles pour l'extérieur), et "efficaces" dans le sens où en peu de mots, des pans entiers et complexes de la réalité du monde sont et ont été mis en commun dans les esprits et les corps des protagonistes.
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(*) EDIT : C'est plutôt cette discussion "Revalorisons l'amitié, les amitiés, le lien dit amical" qui m'a inspiré
/discussion/-cXW-/Revalorisons-l-amitie-les-amitie...
plutôt que celle-ci :
/discussion/-cHV-/Changer-de-paradigme-relationnel
Message modifié par son auteur il y a 7 mois.
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LeGrandStyle
le mardi 18 février 2025 à 14h12
Je trouve le terme « paradigme » malvenu, et en relisant la discussion initiale, il semble que c’est plutôt une définition plus représentative du polyamour qui est recherchée.
La monogamie incluant l’exclusivité sexuelle / émotionnelle, l’escalateur relationnel et l’adultère est un paradigme.
Le libertinage incluant l’exclusivité émotionnelle est un paradigme.
Le polyamour incluant des relations sexuelles et émotionnelles multiples est un paradigme.
La difficulté est que les paradigmes relationnels s’entremêlent avec les modes de vie et valeurs de tout à chacun.
Par exemple, une personne (A) extrêmement transactionnelle peut tout à fait entretenir n’importe quel type de relation, mais une personne (B) moins transactionnelle avec le même type de relation ne se reconnaîtra pas forcément dans comment est vécu la relation par la personne (A).
Ceci dit, l’analogie avec une conversation est belle.
Néanmoins, il est plutôt facile d’inviter quelqu’un à une conversation et également de s’extraire d’une conversation.
Mon expérience du polyamour m’invite à penser le contraire, il est extrêmement difficile d’inviter quelqu’un à une relation existante, et également très difficile de s’extraire d’une relation.
Du coup, cette analogie me semble plus être un idéal qu’une définition pragmatique du polyamour.
Comment dire, ca donne une impression de légèreté qui ne représente pas la lourdeur émotionnelle qu’il y a dans le polyamour.
Après peut-être que certains s’y retrouveront dans cette définition.
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artichaut
le mercredi 19 février 2025 à 00h13
crest
je propose la notion de conversation.
J'aime bien.
Merci de faire des propositions sémantiques ! (je me sens moins seul).
À la fois ça va dans le sens de ce que je ressent, à la fois j'ai l'impression que ce que tu écrit revient à dire :
Les relations sont des interactions
Je m'attache personnellement un peu à ça, appréhender mes relations par le prisme interactionnel (qui aide à moins focaliser sur la durée comme preuve, sur le futur, sur les attentes, sur les ruptures potentielles, etc).
Et en même temps, ça dédouane (positivement et négativement) d'un regard sur le passé pour vivre le seul présent.
Mais du coup, forcément, on perd un peu la notion de lien dans la durée. Même si tu tentes de la maintenir avec les conversations qui se poursuivent.
Et tu aurait même pu écrire :
Les relations sont des conversations qui durent
(ou qui se prolongent, etc)
(tu dis : qui continue)
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artichaut
le mercredi 19 février 2025 à 00h30
J'aime l'idée que la relation, à l'instar d'une conversation, puisse s'arrêter et reprendre. Ça casse ce mythe de la relation perpétuelle (pas au sens infinie, mais au sens continue). Ça démythifie les ruptures. Ça évite les tenus pour acquis.
En réalité toute relation est en pointillé, jamais en ligne continue, constituée de micro-moments interactionnels, donc de micro-ruptures.
Et on pourrait dire : ce qui définit qu'il y a relation c'est… l'envie (mutuelle) de poursuivre la conversation.
Juste ça.