Voici (enfin) mon avis sur le texte « Mono Poly : Itinéraire d’une aspirante polyamoureuse ».
Attention pavé !
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SPOIL ALERTE
Si tu n’aimes pas le spoil et que tu n’as pas encore lu le livre, ne lis pas ce qui suit.
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Alors déjà, pour trancher avec des choses que j’ai pu lire ici, ou ce que le titre et le sous-titre pourraient laisser penser, il peut être utile de mentionner que d’après moi… ce n’est pas un livre « poly » (au sens de prôner une éthique polyamoureuse), et ça me semble même tout le contraire, à savoir une charge sans concessions contre le polyamour.
Ensuite, ça me semble tout sauf un livre plaisant, agréable, feel good, etc. J’ai même trouvé ça, à plein de moments… très glauquissime.
Et pour autant ça me semble un livre probablement nécessaire (j’y reviendrais), mais je me pose quand même des questions sur la forme de la narration et les choix de l’autrice.
Perso j’ai eu du mal à accrocher au début. Je ne suis pas fan du style de l’autrice : je trouve qu’elle décrit vraiment trop tout, on a l’impression que c’est de la pure description de réel, et je m’emmerde vite. Je trouve ça longuet ces descriptions à n’en plus finir.
Comme d’autres l’ont dit c’est hyper grossophobe : dès la deuxième page, et après ça n’arrête pas d’enchaîner. Et pas que grossophobe, mais hyper jugeant sur l’apparence physique. C’est dommage. Pas tant parce qu’il faudrait respecter une morale bienséante ou de l’absolument politiquement correct, mais parce qu’à aucun moment dans le livre (même pas dans l’envolée féministe à la fin) les jugements sur l’apparence physique ne sont visibilisés comme pouvant participer à ce qui (à mon sens) va être dénoncé dans le livre : l’appropriation du corps de l’autre, et la tentative de le conformer à son idée, et à son usage personnel.
Effectivement ça m’a semblé très peu anonymisé. J’ai beau ne pas avoir connu cette époque-là, j’ai sans problème reconnu certaines personnes, encore présentes dans le milieu poly et sexpo d’aujourd’hui.
J’ai bien aimé quand même la toute première scène de sexe (chap 5). Mais c’est quasi la seule que j’ai appréciée du livre. Avec le recul ça me semble une scène où le personnage n’est pas encore tombé dans le milieu polybertin à venir et qui va lui faire renier tout ce qu’elle est …avant de finalement le quitter. Tout le livre est ainsi un genre de parenthèse polybertine où la narratrice va se faire happer par un milieu qui se veut et se présente comme déconstruit, mais qui en réalité traque et force ses proies avec autant de précision que de glauquitude.
Une autre scène qui au début du livre m’a plu, c’est la séance chez le gynéco (chap 4), j’ai trouvé ça long et chiant, mais au moins ça parle de quelque chose dont on parle peu dans les romans (la violence de la médecine). Et ça préfigure le discours féministe final. Là aussi, comme si la narratrice était féministe avant de rencontrer le milieu polybertin, et que celui-ci avait réussi à le lui faire oublier (jusqu’au sursaut final, heureusement).
Elle est lesbienne, on va la forcer à ne pas l’être. Elle est féministe, on va la forcer à ne pas l’être. Elle est mono, on va la forcer à ne pas l’être.
J’ai reçu ce livre comme une description minutieuse d’une descente dans l’enfer du milieu polybertin parisien de ces années-là.
Et finalement ce style que j’ai d'abord trouvé "chiant à lire", m’a semblé pertinent, car il donne à voir avec un maximum de détails les mécanismes en jeu. Peut-être c’est pour ça que l’autrice a tant besoin de décrire les choses de façon aussi minutieuse, comme s’il fallait absolument tout décrire. C’est une description au scalpel, qui se doit d’être minutieuse et exhaustive, pour qu’on ne puisse pas lui reprocher d’être « pure fiction ».
Certes ce livre peut donner la nausée, mais il est possible que ce texte soit important, car possiblement il documente une époque. Une époque peu glorieuse mais qui constitue le lit du milieu poly d’aujourd’hui. Et présente assez clairement les écueils et les récifs qui se cachent dans l’océan poly.
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Ce qui toutefois m’a gêné (jusqu’au sursaut final) c’est que la narratrice n’est pas consciente de ce qui lui arrive. Et que le récit fait le choix de ne pas donner à voir (sauf à la toute fin) l’aspect problématique de ce qu’elle vit.
J’ai trouvé ce livre très malaisant. Il m’a fait penser au livre « La vie sexuelle de Catherine M » qui pour moi raconte le chemin d’une personne qui semble ne pas se rendre compte elle-même (même écrivant un livre) qu’elle se fait violenter, violer, déshumaniser…
Du coup, comme pour le livre de Catherine Millet, on peut le lire comme un récit plaisant qui vante la liberté sexuelle, décrit de mignonnes petites scènes érotiques, et ne pas voir le dark side derrière le vernis.
L’envolée féministe finale de Mono Poly pouvant même paraître mignone et "dans l’air du temps", limite sexy, et perdre sa charge profondément politique.
Autre chose que je ne comprends pas, c’est l’insistance de l’autrice à dire que ce livre est une fiction (tout en s’appuyant pourtant sur un travail de recherche en sociologie). Quelle est alors la part de réel et de fiction dans ce récit ? Et pourquoi faudrait-il fictionner ? Pour protéger qui ? Ou se protéger de quoi ? La fiction a-t-elle ici un rôle, comme dans les dictatures, de pouvoir dénoncer sans en avoir l’air ? Dénoncer, mais se protéger, en se dédouanant de le faire ?
Ou bien ce récit fictionnel a un rôle cathartique ? Raconter toute la glauquitude vécue, pour la faire sortir de soi, pour s’en débarrasser enfin, pour peut-être aider d’autres à libérer la parole, mais sans être capable soi-même d’en assumer la charge politique ?
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Et dans ce livre-là, la narratrice semble se faire violenter sur tous les pans de sa vie : sexuellement, affectivement, relationnellement, bdsm-ment, même sur le plan du travail salarié.
On peut presque le voir comme un livre sur la condition des femmes en France dans les années 2010.
Le récit alterne pour moi entre des trucs ennuyeux, des trucs malaisants, et des trucs un peu chouettes (quand on la sent parfois (re)prendre du pouvoir sur sa vie).
La narratrice est quand même beaucoup dans les masques sociaux et les faux semblants, dans se conformer à un modèle (comme le fait d’être un objet de désir, docile et manipulable) qu’on semble attendre d’elle, dans l’absence de raison de vivre, le dégoût et le découragement …alors oui quand elle reprend un peu du pouvoir sur sa vie, ça fait du bien à lire.
Mais à peine nous a-t-on donné une scène un peu renforçante à lire, qu’on repart dans des scènes de dragues toutes +glauquissimes les unes que les autres. On dirait un manuel de la déchéance en milieu patriarcal. C’est désespérant.
Déjà que j’ai du mal avec la séduction, mais alors là, lire tout ça, m’a semblé repoussant au possible. Comme s’il ne pouvait jamais exister une once de sincérité entre ces personnages (pas même chez la narratrice qui joue au même jeu du paraître et des faux semblants sociaux).
Perso, ça m’a donné à voir, certaines de mes propres tentatives relationnelles passées, comme le possible inéluctable prolongement du patriarcat. Et je me suis beaucoup demandé à la lecture si c’est quand même éclairant (donc un peu empouvoirant) ou juste déprimant et désespérant.
C’est un roman par vagues. Il alterne entre le glauque, et quelques minuscules améliorations de l’état émotionnel de la narratrice, qui dans de rares moments, semble enfin vivre pour elle-même et non pour les autres.
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Ce que j’ai trouvé malaisant dans le livre, c’est que certes les mecs ont des comportements de prédateurs, mais qu’elle aussi (en tout cas dans les 2 premiers tiers) semble se soumettre (presque volontairement) à être la proie des autres, à nier ses désirs, à se conformer au désir (parfois même supposé) de l’autre, etc.
Du reste, elle-même, quand elle drague, elle se comporte de manière que moi je nommerai « prédatrice » (faux semblants, absence de vérification de consentement, chercher à obtenir quelque chose, adapter les moyens à sa fin, etc.).
C’est vraiment toute cette société qui est viciée. Et ce qui est malaisant c’est que la narratrice semble n’avoir que très peu de recul sur tout ça. En tout cas elle décrit les choses, sans —la plupart du temps— sembler voir le problème, ou alors le voir, mais l’accepter avec résignation et dégoût.
Alors ça fait du bien quand, dans le dernier 1/3 du livre, elle « reprend vie » enfin.
Mais ça veut dire qu’en tant que lecteur/lectrice il faut être capable de voir le problématique des situations, vu qu’on ne nous donne pas les clefs pour le voir. C’est ça que j’ai trouvé rude à lire : l’absence de clefs pour comprendre.
On se demande où en est l’autrice aujdh avec tout ça, et quel regard elle a, quel recul elle a, sur ce qui semble quand même être… sa vie passée.
Elle se contente de décrire les choses avec minutie et soucis du détail, mais n’a que très peu de méta-réflexion sur les situations qu’elle vit. Elle est dans l’acceptation et le dégoût (au moins les 2/3 du livre).
Elle retranscrit, je trouve « sans âme », une série de situations où elle est au cœur, mais avec peu de présence.
Je me suis demandé si la présence d’une narratrice abstraite racontant l’histoire de ce personnage principal, n’aurait pas été préférable, pour permettre une distanciation vis-à-vis des scènes vécues et ici racontées. Quitte à ce que cette narratrice soit le personnage de la fin, qui possède le recul d’avoir vécu cette traversée des enfers, mais d’en être sortie indemne.
Au lieu de ça, j’ai peur que ce manque de distanciation puisse créer chez certaines lectrices (et éventuellement lecteurs) une forme de dissociation, qui nous replonge à l’identique dans des situations traumatiques vécues, mais sans le recul nécessaires pour être capables de les identifier comme problématiques.
Le récit alors, risquant de se retrouver à presque "cautionner" ce que possiblement il cherche à dénoncer, ou en tout cas autorise des lectures en surface, tel que certaines critiques que j’ai pu lire, semble le montrer.
Pour moi vers la fin, la narratrice semble enfin sortir un peu de ses failles. Mais si tu n’as pas vu les failles, tu ne peux pas voir et comprendre comment elle en sort. Du coup ça sonne un peu faux et un peu chute fictionnelle ("à la mode" de surcroît, puisque féministe).
Pourtant ce livre me donne encore+ à voir et me permet d’encore+ comprendre à quel point ce monde est vicié. C’est peut-être utile, même si ce n’est pas un constat très agréable.
Honnêtement, une fois le livre fini, je ne savais plus trop quoi en penser.
Je trouve quand même qu’à la toute fin elle nomme plein de choses (elle tient un discours féministe, etc.). Mais ce qu’elle nomme reste un peu en surface. Elle ne décrit pas précisément les comportements problématiques et ne nomme pas non plus s’être fourvoyée elle-même.
Et la toute toute fin (à Marseille) est très déroutante (m’a semblé très fictionnelle pour le coup, là où le reste me semble ultra crédible et réaliste) : genre elle arrive à Marseille, et toute sa vie change : elle trouve du taf, elle est heureuse, elle rencontre l’amour (avec une femme).
Magique le soleil de Provence quand même !
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Bon puisque personne n’a nommé ce qui me semble vraiment problématique dans les comportements des personnages je vais le faire un peu ici et tâcher d’expliquer pourquoi j’ai trouvé les scènes de sexe/drague toutes +glauquissimes les unes que les autres.
Je ne vais pas pouvoir tout visibiliser. Ça m’obligerait à relire tout le livre pour en citer des passages précis. Je vais me contenter d’une vision un peu globale et de mémoire, sur les choses qui me semblent les +trashs.
Elle (la narratrice) débarque dans le milieu polybertin parisien
- Elle est accueillie à bras ouverts (elle est jeune et jolie) au café poly mais en fait les orgas, tels des rapaces, lui tombe dessus et la drague ouvertement dès le 1er jour.
- On lui vent du rêve (liberté, non-exclusivité, découverte de soi, sexe, amour, etc.) mais personne jamais ne lui parle des difficultés qui peuvent aller avec ce mode de vie, et surtout on ne l’écoute pas. En fait on la force à quitter ce qu’elle est (lesbienne mono) pour devenir ce que l’on veut qu’elle soit (hétéro, ou à la limite bi, poly, et libertine) et l’on s’extasie devant sa transformation.
- Les relations humaines ne semblent pouvoir fonctionner que sous l’égide des faux semblants, du langage implicite et de la culture du viol. Nulle part il n’y a d’authenticité. Tout n’est que masques sociaux et non-dits. Tout le monde se ment (à soi-même et aux autres).
- Son soi-disant initiateur au monde de la nuit (orgie et bdsm) la laisse complètement en roue libre dans la fosse aux lions dès la 1re soirée. On ne lui transmet aucun code, aucune explication. On l’incite au contraire à se conformer à un monde existant, à des attentes et on la félicite de s’adonner à des comportements fantasmés attendus.
- Elle a une envie très forte de vivre son désir (puisque la société et ce milieu lui vendent la Lune) mais personne ne la met en garde contre rien.
- Sous couvert de prise de pouvoir sur sa vie, on l’oblige à se conformer à un monde présupposé (sans rien lui expliquer), où elle subit de la maltraitance (sans la nommer comme telle) et où on lui offre un genre de faux consentement, puisqu’on ne lui offre jamais de porte de sortie.
- Elle est sursollicitée par les mecs (alors qu’elle se présente comme lesbienne) et le consentement n’est tellement pas au rendez-vous qu’elle a peur d’être exclue du milieu poly si elle met un vent à un mec et se sent obligée d’accepter « les sales règles d’un jeu auquel elle n’a pas envie de prendre part ».
- Même le mec censé être +déconstruit que les autres, qui se présente comme ne voulant par forcément de sexe, etc. force son consentement, dit une chose et fait le contraire (pour créer un rapprochement tactile entre elle et lui). Dès que le sexe advient dans la relation, il semble n’avoir en fait attendu que ce moment, et donc avoir tout fait pour que ça arrive. Il est moins directement prédateur que les autres, mais s’avère finalement bien +manipulateur et finit même par se montrer ultra possessif.
- La générosité, l’empathie désintéressée et la solidarité, ne semblent pas faire partie de ce monde. Au contraire les mecs parviennent à leur fin, car ils font ce qu’il faut pour y arriver.
- Dès qu’elle commence une relation elle se retrouve comme sous emprise, au point que les ruptures deviennent des soulagements.
- Elle cède (presque) toujours aux avances mais sans désir, et personne ne semble y voir de problème. On ne lui demande pas ce dont elle a envie, juste on la force à vivre ce que l’autre a envie. Quand elle se laisse faire, se laisse entraîner, c’est reçu comme quelque chose de positif.
- Elle est régulièrement dégoûtée, vide, sans excitation, sans désir, mal à l’aise, triste, blessée, maltraitée, honteuse, …et ça semble normal à tout le monde.
- Elle est +prompte et +lucide à décrire ce qui ne va pas dans le monde du salariat. Pourtant elle vit exactement les mêmes choses (la même pression, les mêmes injonctions, le même déni de sa personne et de ses désirs).
- Tout semble écrit d’avance. Elle se conforme à ce qui est attendu d’elle. Mais on ne lui laisse pas d’autre choix. Ça donne le sentiment d’un cercle vicieux infini, sans échappatoire possible. Si elle ne se conforme pas, elle se fait moquer, humilier, rejeter.
- En tant que femme (jeune et jolie) elle est idéalisée, mise sur un piédestal, portée aux nues, jalousée, et mise sous emprise. On finit même par lui demander d’être exclusive !
etc., etc.
Beaaark. Au secours.
Ce monde qui se prétend déconstruit s’avère a minima aussi pourri que le monde dit "normal". Les mecs n’ont qu’une idée en tête et qu’un but dans la vie : posséder la femelle.
Les femmes (jeunes et jolies) ne semblent avoir qu’une seule alternative : se laisser posséder (ou changer de ville).
Et je trouve ça peu rassurant que des mecs puissent aujourd’hui lire ce livre et voir de l’éthique dans le comportement des mecs décrits dans ce livre.
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Fin du SPOIL
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