NdT : en Espagne, il existe de nombreux termes autour du polyamour, comme : « polifake », « polimacho », « policadavres », « polipatos », etc. Ils permettent de nommer de nombreuses situations inhérentes aux relations plurielles, à la relative nouveauté de ce type de relations dans une société patriarcale.
J'ai pensé utile de partager avec vous cet article de Brigitte Vasallo, écrivaine et militante pour des relations non-monogames inclusives en tant que résistance politique.
Je viens de lire le post d’Alicia Murillo (artiste et activiste féministe espagnole) qui commence ainsi : « c’est le machiste queer, le machiste alternatif, comme il y en a beaucoup : je continue ? le machiste punk, le machiste anarchiste, le machiste squatter, le machiste finalement. Le même de toujours. C’est ton père avec 40 ans de moins, mais aussi misogyne ou plus. Entre tous, c’est le plus dangereux, car il s’infiltre partout. Il a accès aux assemblées, il est parmi nos contacts sur les réseaux sociaux, il participe à nos discussions et il connaît nos stratégies d’action sociale parce qu’il est littéralement camouflé. »
Dans le monde polyamoureux, nous savons de quoi parle Alicia : nous l’appelons « polyfake ». Ce sont des personnes qui s’approchent du polyamour parce que cela leur donne une couverture philosophique, politique, éthique et sympa, mais avec la même merde de toujours : faire son chemin en semant des cadavres à son passage. Ce qui les distingue c’est qu’ils mettent toute leur emphase sur certains termes liés au polyamour, mais jamais sur d’autres. Ils adorent parler de « l’amour libre », « l’amour sans obligations », « du sexe à profusion », mais ils oublient que pour que cela devienne quelque chose de nouveau, pour que cela devienne vraiment un aspect à revendiquer, il est nécessaire d’ajouter à ces termes l’honnêteté, la sincérité, prendre soin des personnes avec qui on est en relation, même sporadiquement. Dans le cas contraire, c’est exactement ce qui s’est fait depuis toujours : cocufier, tromper, mentir, blesser… le parfait « mentir, baiser, mourir » de Céline.
Le polyamour, effectivement, pense les relations en termes d’obligation. Mais les obligations du polyamour, comme de l’anarchisme relationnel auquel il est intimement lié, ce ne sont pas les autres qui les décident, c’est toi-même. C’est un accord, avec toi, avec tes principes, avec ta manière d’être au monde, avec tes propres limites et tes besoins. Un très haut degré d’auto-critique est nécessaire et également, il est nécessaire de se connaitre et de se savoir comme une personne qui souhaite et a besoin des affectes et qui souhaite être honnête avec elle. A partir de là, c’est un accord horizontal avec le monde. Amour libre, oui, mais pour tout le monde. Respect, oui, mais pour tout le monde. Pas d’instrumentalisation, oui, mais pour tout le monde. Et cela veut dire que les personnes avec qui on est en relation, sachent à tout moment quel est le type de relation qu’elles sont en train d’établir. Avec le risque que la relation finisse (c’est ce que la liberté comporte). Le polyamour, finalement, propose de créer des liens amoureux non possessifs, basés sur des pactes décidés entre chacune des personnes, quel qu’ils soient. Établis à partir de la sincérité : sans tromperies, sans fausses vérités, sans malhonnêteté. Fidélité aux pactes et à la loyauté envers les personnes.
Quand nous faisons des pique-niques polys, entre ami.e.s qui construisent depuis des années des liens polyamoureux, le thème du « polyfake » finit toujours par apparaître. Une amie, en plein de crise de rire, a imaginé une excellente définition : « êtres qui ne peuvent pas avoir une relation saine et, par conséquent, en établissent cinq maladives ». Dans la pratique, des polyamoureux-euses qui cocufient leurs partenaires (même si cela peut paraître kafkaïen), polys qui n’acceptent pas qu’on les quitte et deviennent harceleurs, polys qui manipulent et mettent en danger les autres relations de leurs partenaires…
En tant que polyamoureuse convaincue, ayant été échaudée mais également convaincue, il me semble que si le polyamour ne consiste pas à construire un réseau de personnes qui prenons soin les unes des autres, cela ne vaut pas la peine de lutter pour lui. Retournons à la monogamie et faisons des orgies. Le polyamour doit avoir la capacité de changer des schémas de l’intérieur, depuis son propre centre. Depuis ce lieu même que les « polyfakes » ignorent, simplement parce que c’est bien plus simple de continuer ainsi. Se disant radicaux avec des gestes qui, au fond, ne supposent aucun danger.
Alicia a lancé le ballon : maintenant que nous savons que cela existe et que nous osons le dire à voix haute, que faisons-nous pour les neutraliser ?
Traduit du texte Poliamor y polifake (lien périmé) de Brigitte Vasallo.