Confinement, polyamour et hiérarchies sentimentales
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feuilledepapier (invité)
le jeudi 26 mars 2020 à 17h57
Bonjour à tout le monde pendant ces jours obscurs.
J'ouvre ce fil de discussion pour avoir quelques conseils et demander des retours sur le vécu de la situation par d'autres personnes.
Dans une autre discussion @artichaut écrivait :
artichaut
Enfin à condition que la prudence ne se transforme pas en protectionnisme hiérarchique mono (genre, moi et ma relation principale), venant exacerber des éventuelles tensions pré-existantes concernant les dites hiérarchies relationnelles.
Ne pas se voir pendant 14 ou 40 jours n'a jamais tué personne. Si c'est le choix de tel ou telle (voire un choix collectivement décidé, au sein d'un polycule) soite. Il n'y a rien à redire à ça. À condition toutefois que ce soit pratiqué, pensé, vécu, comme un truc temporaire. Que ce soit non stigmatisant pour les un·e·s, les autres. Que la solidarité persiste à primer sur le dénigrement ou l'isolement. Qu'un regain de soutien affectif accompagne la démarche. etc.
…et ça me semble moins simple que ça n'en a l'air.
Je trouve ces réflexions très pertinentes, autant que je trouve difficile de les appliquer dans la réalité !
En effet, comme beaucoup d'entre vous, je vis confinée depuis 10 jours maintenant. J'habite dans la maison que nous avons achetée avec mon compagnon, dans des conditions plutôt privilégiées (ville avec commodités, grands espaces, bureaux pour le télétravail, jardin etc). Nous passons des beaux moments ensemble, nous nous entendons bien et nous arrivons à faire face ensemble à la dureté de la situation actuelle.
Cependant, depuis quelques mois, je vis aussi une autre relation. Malgré les doutes et les discussions initiales (notre couple a toujours été ouvert), mon compagnon vit cela d'une façon sinon sereine tout au moins acceptante.
Depuis le début, les choses sont claires pour tout le monde : la relation avec mon compagnon est celle qui plus s’inscrit dans mes projets de vie (nous vivons ensemble, nous passons les vacances ensembles, les fêtes dans la famille, nous avons des projets professionnels partagés, etc).
Mais, l'autre relation est très belle à mes yeux, j'y pense beaucoup et ça m'apporte une ouverture sur un bonheur différent, moins « cadré ». Depuis le début, nous n'avons jamais passé beaucoup de jours ensemble, nous ne voyons qu'irrégulièrement, certaines fois plusieurs fois par semaine et certaines d'autres une fois tous les quinze jours. Cette personne habite dans une autre ville, à quelques centaines de kilomètres. Le problème n'est pas l'éloignement en soit, on y est habitués.
Le problème à mes yeux c'est que le confinement creuse les hiérarchies et les asymétries, il fausse la simplicité des rapports. Dans le passé, il m'est arrivé plusieurs fois de préférer rentrer auprès de mon compagnon plutôt que de rester chez mon amoureuse. C'était un choix (pas toujours facile, mais finalement assumé).
Là, ce n'est plus de l'ordre du choix quotidien. Enfin, j'ai décidé de vivre avec mon compagnon (et je suis très contente), mais je n'ai plus le choix de faire autrement. Du coup, des fois je me retrouve à penser à l'autre personne alors que je suis avec mon compagnon. Ça me met mal à l'aise. Il m'a dit qu'il préfère ne pas avoir trop de détails de mon autre relation (c'est son choix, après des longues discussions), alors je ne suis pas vraiment en mesure de partager cela avec lui.
D'habitude quand c'est le cas, je m'organise pour qu'on puisse se voir avec l'autre personne et je rentre tranquille. Mais là ce n'est pas possible. Cela me triture.
Et l'autre personne, qui est en confinement seule, dans un studio parisien, commence à souffrir vraiment de l'isolement. Du coup, nous nous téléphonons et écrivons bien plus que ce que nous faisons normalement...et parfois j'arrive à me dire que si j'étais vraiment amoureuse, je franchirais les dangers et j'envisagerais un déplacement, au-delà de son côté vraiment irresponsable. Mais je ne le fais pas, d'autant plus que je suis bien ici. Et je développe un sens de culpabilité. Mon amoureuse me rassure et dit que finalement elle non plus elle ne se sent pas de casser le confinement pour qu'on se voie. Mais je me retrouve certainement dans une position plus confortable que la sienne.
Bref, comment gérez-vous ces éloignements forcés de vos amoureuxses tout en vivant auprès de votre cherie de vie ?
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cactus
le jeudi 26 mars 2020 à 22h13
Bonjour feuilledepapier,
artichaut
Ne pas se voir pendant 14 ou 40 jours n'a jamais tué personne. Si c'est le choix de tel ou telle (voire un choix collectivement décidé, au sein d'un polycule) soite. Il n'y a rien à redire à ça. À condition toutefois que ce soit pratiqué, pensé, vécu, comme un truc temporaire. Que ce soit non stigmatisant pour les un·e·s, les autres. Que la solidarité persiste à primer sur le dénigrement ou l'isolement. Qu'un regain de soutien affectif accompagne la démarche. etc.
…et ça me semble moins simple que ça n'en a l'air.
Dans le cadre d'une relation à distance, ne pas se voir pendant 40 jours est sûrement répandu.
Avec mon amoureux on se voit tous les 2 ou 3 mois, je n'ai l'occasion de voir un de mes amours que tous les mois ou les 2 mois...
D'autres personnes en relation ne se voient qu'une fois par an, voire plus rarement.
Néanmoins, ne pas se voir souvent ne veut pas dire que les interactions ne sont pas quotidiennes.
feuilledepapier
Le problème à mes yeux c'est que le confinement creuse les hiérarchies et les asymétries, il fausse la simplicité des rapports. Dans le passé, il m'est arrivé plusieurs fois de préférer rentrer auprès de mon compagnon plutôt que de rester chez mon amoureuse. C'était un choix (pas toujours facile, mais finalement assumé).
Là, ce n'est plus de l'ordre du choix quotidien. Enfin, j'ai décidé de vivre avec mon compagnon (et je suis très contente), mais je n'ai plus le choix de faire autrement.
Mais d'autres situations génèrent des contraintes du même type : j'ai 2 enfants avec mon amoureux le plus ancien, avec lequel je vis. La logistique familiale impose des contraintes qui ne laissent pas la place à l'improvisation.
Je ne le vois pas comme une hiérarchisation, pour moi mes amours ou mes amoureux ont tous la même importance dans ma tête.
Mais il faudrait demander à mon amoureux comment il vit notre relation avec ce qu'elle comporte de contraintes : la distance physique, les contraintes logistiques.
EDIT : il dit texto "que si les règles et contraintes sont actées et posées dès le départ, l’intégration se fait naturellement et de manière plus fluide."
feuilledepapier
Du coup, des fois je me retrouve à penser à l'autre personne alors que je suis avec mon compagnon. Ça me met mal à l'aise. Il m'a dit qu'il préfère ne pas avoir trop de détails de mon autre relation (c'est son choix, après des longues discussions), alors je ne suis pas vraiment en mesure de partager cela avec lui.
Je suis incapable de "cloisonner" mes pensées : ça n'est pas parce que je suis avec l'un que je ne pense pas aux autres, et je ne me l'interdit pas, de toute façon je ne sais pas faire.
Les personnes que j'aime sont avec moi en permanence en qq sorte....
En revanche, mon amoureux le plus ancien préfère également en savoir le moins possible, donc j'essaie de faire attention à ne pas l'envahir avec mes autres amours : ça lui permet de bien vivre mon choix relationnel.
feuilledepapier
D'habitude quand c'est le cas, je m'organise pour qu'on puisse se voir avec l'autre personne et je rentre tranquille. Mais là ce n'est pas possible. Cela me triture.
Comme si ta relation était à l'autre bout du monde au final ;)
feuilledepapier
Et l'autre personne, qui est en confinement seule, dans un studio parisien, commence à souffrir vraiment de l'isolement. Du coup, nous nous téléphonons et écrivons bien plus que ce que nous faisons normalement...
ça serait vrai aussi pour un.e ami.e qui vivrait seule et à qui tu voudrais apporter du soutient non?
feuilledepapier
et parfois j'arrive à me dire que si j'étais vraiment amoureuse, je franchirais les dangers et j'envisagerais un déplacement, au-delà de son côté vraiment irresponsable. Mais je ne le fais pas, d'autant plus que je suis bien ici. Et je développe un sens de culpabilité. Mon amoureuse me rassure et dit que finalement elle non plus elle ne se sent pas de casser le confinement pour qu'on se voie. Mais je me retrouve certainement dans une position plus confortable que la sienne.
Nous avions prévu de partir en w-end la semaine prochaine avec mon amoureux, évidemment nous avons annulé. Si tout va bien, ce n'est que partie remise.
Si j'avais été célibataire avec plusieurs amoureux, j'aurais probablement opté pour rester célibataire le temps du confinement, tout en interagissant au maximum avec eux.
Message modifié par son auteur il y a 3 ans.
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feuilledepapier (invité)
le mardi 31 mars 2020 à 01h13
Merci pour ta reponse, @cactus !
Elle m'a éclairé quand tu dis ne pas pouvoir cloisonner ta pensée.
Je pense que j'avais tendance à croire qu'il y avait un "problème" si je pensais à quelqu'un d'autre quand je passe du temps avec une personne qui compte beaucoup pour moi.
Mais en effet, c'est plutôt normal au fond...ou peut-être c'est moi que je ne suis pas à l'aise, car même si nous avons toujours été un couple ouvert, avec plusieurs aventures d'un part comme de l'autre, c'est la première fois où j'entretiens une relation plus structurée (qui depasse en somme l'aventure d'un soir).
Et finalement tout cela traduit un certain mal-etre avec la hiérarchisation. Même si j'aime très fort mon compagnon, j'éprouve une certaine culpabilité envers mon amoureuse (de ne pas être disponible envers elle autant que je le suis pour mon compagnon, de ne pas la privilegier...alors que des fois au fond j'en aurais envie surtout parce que notre NRE n'est pas épuisée !).
Mais, au vu des discussions que nous avons eu avec mon compagnon, il serait très douloureux pour lui que je fasse autrement... Et ce confinement rend juste plus claire une situation que j'essaie habituellement d'aménager (en évitant de me poser les bonnes questions ?).
Car la question de mon engagement avec mon amoureuse se pose au delà de la NRE.
Nous verrons, entre temps, j'espère que ce confinement nous permet à tous de vivre aux mieux nos relations et peut-être d'en comprendre d'avantage...