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Dolcevita

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Toulouse (France)

Non exclusive et pansexuelle. Dynamique, ouverte d'esprit, aspire à des rencontres impliquées affectivement avec des personnes enthousiastes, libres et indépendantes...

J'anime des cafés-débat mensuellement à Toulouse sur les thèmes de la sexualité et du polyamour. Ils seront annoncés ici.

Je…

Polyamour, libertinage et « matrice hétéronormative »

Rédigé le mercredi 23 septembre 2015 à 19h00

Mis à jour il y a 7 ans

Avec son accord, je vous propose ce texte de Daniel Welzer-Lang, sociologue sur le genre à l'Université du Mirail à Toulouse. Ce texte lui a été inspiré après être venu au café-débat que j'ai animé le 15 septembre dernier à Toulouse.

Illustration : mfakheri (CC By NC SA)

Ce texte vise à alimenter des débats autour du polyamour.

Difficile de s’y retrouver dans les débats actuels pensent, à raison, certaines personnes. Non seulement parce que certains termes (polyamour, libertinage, candaulisme, triolisme…) sont peu définis ou de manières très diversifiées, mais aussi parce que l’analyse est souvent partielle.

L’hypothèse que je défends ici est que parallèlement à la révolution du genre marquée tout à la fois — par la lutte pour l’égalité hommes/femmes (contre la domination masculine et ses effets) — et par les revendications LGBTQI (lesbiennes, gais, bisexuel-le-s, transgenres, queers, intersexes) qui visent à faire admettre la pluralité des rapports entre sexe dit biologique et genre social, nous assistons à des interrogations en actes, une déconstruction, de ce qui était présentée comme une sexualité « normale » à savoir l’hétérosexualité.

Bref, pour le dire autrement, une fois admis que les femmes, les trans (quels que soient les débats sur les transidentités), les travs, les gays, les lesbiennes, les bi, les intersexes, les queers… sont des personnes aussi normales que les autres¹, que penser des représentations et pratiques dites hétérosexuelles ? Y a t’il une seule forme d’hétérosexualité ?

L’hétéronormativité que certain-e-s aiment à présenter comme « naturelle » car liée parfois à la reproduction humaine s’impose encore dans nos représentations et nos actes quotidiens. Et s’imposera tant que nous n’avons pas réussi à distinguer ses effets réels et imaginaires dans nos interactions².

Pour ma part, je soutiens l’idée que la « matrice hétéronormative » dans laquelle nous sommes élevé-e-s légitime la domination des femmes et la stigmatisation de ceux et celles qui ne peuvent prouver leur hétéronormativité.

L’utilisation du terme hétérosexuel-le-s est récente. Avant on disait que l’on était « normal ». Le sida et à la solidarité avec les homosexuel-le-s a imposé de caractériser autrement ces gens qui criaient leur normalité. A l’antique couple homo/normal, qui renvoyait les homos aux « anormaux », aux « monstres », aux « pervers », on a préféré le couple homo/hétéro. Quant à la « culture hétérosexuelle », le fait de théoriser la naturalité du couple Homme/femme qui doivent vivre ensemble et s’aimer, elle se crée entre le XIIe et le XVIe siècle dans l'Occident chrétien, comme le montre brillamment Louis-Georges Tin (L'invention de la culture hétérosexuelle, Éd. Autrement, 2008).

Si on accepte que l’hétéronormativité se traduit par :
— la prédominance du « deux » pour faire couple, ménage ou famille ;
— l’appropriation physique, sexuelle et symbolique des femmes (et l’attribution de tâches différenciées en fonction du sexe) ;
— une vision d’une sexualité masculine comme active et passive pour les femmes (ou leurs équivalents symboliques que sont les homosexuels pénétrés), un constat s’impose : il y a des libertins et des polyamoureux hétéronormatifs.

Que l’on pense aux hommes dits libertins qui imposent certains rapports à leur conjointe, la jalousie masculine et le contrôle de « leur » compagne, alors qu’ils s’autorisent eux à d’autres relations. J’ai aussi évoqué par ailleurs comment la domination masculine homophobe aboutit à considérer certaines pratiques ou substances somme sales, anormales. Et n’oublions pas que certains clubs imposent encore aux femmes de se travestir en femme : jupe, robe… pantalon et chaussures plates interdits. Alors que de telles contraintes n’existent pas ou peu pour les hommes qui ne sont pas racisés : pas de tennis ou baskets, ni de casquettes.

Et si l’on creuse un peu et que l’on dépasse ces traits sommaires de la matrice hétéronormative, on se rend aussi compte que nous sommes tous et toutes concernées. Y compris ceux et celles qui ont l’illusion ou la prétention de se distinguer des figures virilistes, machistes ou maternalistes qui encombrent nos imaginaires d’origine.

Ainsi, fréquemment, les débats dans les groupes polyamoureux abordent la prégnance du modèle du deux exclusif. Parfois le secret sur les « autres » relations n’est pas sans rappeler les découpages public/privé, intérieur/extérieur. A l’inverse le modèle du « tout-dire » rappelle fortement le « tout-avouer » à Dieu dans le confessionnal pour expier ses « fautes », mis en place par la religion chrétienne. Quant à la (rassurante) division relation principale/relation secondaire, elle évoque fortement comment nous les mecs avons été élevés en distinguant celles qui officient comme mamans et nous prennent en charge, et celles entrevues comme des putains ou des salopes avec qui on fait du sexe récréatif payant ou non…

A côté de ces réflexions de base, se posent aussi des questions qui concernent d’autres fondements de l’hétéronormativité.

— Qu’en est-il des remises en cause des attitudes virilistes (être actif) et maternalistes, (être passive) ? Y a t’il déconstruction avec essais de l’inverse. Oui, une femme peut être active et « prendre » un homme ; y compris dans l’interaction vagin/phallus. Comment se dit et se vit le refus de pénétration ?

— Qu’en est-il de la distinction entre scène sociale et scène sexuelle ? Les gays nous ont montré la distinction entre les deux. On peut « jouer » scenarii et personnages dans une recherche érotique sans pour cela que ces personnages, ces scènes, influent ou préfigurent la vie hors sexualité. Qu’en est-il de ces transversalités ou non-transversalités dans les rapports hommes/femmes où en général l’homme est actif/dominant dans le sexe ET dans la vie ? Qu’en est-il des inversions ? des détournements de l’hétéronorme ? Pouvons nous déconstruire une norme dominante en la jouant ou en la mettant en scène dans la sexualité ?³

— Qu’en est-il de la fétichisation hétérocentrée des différences et de l’essai de ne pas limiter la sexualité à une pseudo complémentarité entre hommes et femmes ? Nos imaginaires érotiques ont été centrés sur ce qui fait différence : pénis, seins, vagin… ? Comment les corps entiers sont-ils perçus, utilisés dans les jeux érotiques ? Devrons-nous longtemps encore nous limiter dans nos perceptions genrées de soi et des autres ? Peau, oreilles, bras, anus, pieds… sont aussi des parties de corps érotisables. Ils présentent l’avantage d’être communs aux hommes et aux femmes.

— Qu’en est-il du rapport à l’esthétisme et aux poils en particulier. Qu’en est-il des contraintes sur le poil ? Sont-elles identiques par les hommes et les femmes ? Comment se manifeste ce qui devrait être débats puis choix individuels ?4

Voilà quelques questions qui me semblent intéressantes à creuser.

Nous sommes en transition, en passage d’une époque fortement marquée par la domination masculine homophobe et l’avènement (dont de multiples signes apparaissent) d’une société égalitaire en termes de genre. En terme de classes sociales, d’âgisme ou d’effluves post-coloniales racisantes c’est différent.

Dans cette transition des hommes hétéronormatifs et des femmes hétéronormatives ont été confrontées à des rencontres avec des personnes qui remettent en cause tout ou partie du modèle et de ses normes : volonté d’égalité des femmes et refus du machisme et des violences faites aux femmes, désirs de normalité des gais, des lesbiennes, ou des trans… Ils et elles se sont donc adaptées et ont découvert qu’on peut aimer et/ou vivre des sexualités entre hommes et femmes sans pour cela faire sien l’ensemble du modèle. Et devant l’absence de nouveaux modèles consensuels, nous bricolons ! Nous expérimentons !

Ce n’est donc pas un hasard si des multiples groupes polyamoureux ou « cafés poly » sont apparus. Ils assurent une interface publique permettant que tout-e un-e chacun-e puisse se renseigner, intégrer ses expériences dans une possible problématique polyamoureuse, Ce n’est donc pas un hasard non plus si de nombreuses personnes essaient le plus que deux ou les relations autres parfois qualifiées de libertines, de bisexuelles ou de BDSM. Internet y contribue comme outils facile d’accès.

Signe des temps, ce n’est plus autour des questions sur l’identité, l’orientation sexuelle ou la caractérisation des pratiques que se rencontrent aujourd’hui différentes personnes. Les débats sur les bisexualités, sur le libertinage et, pour partie à Toulouse, autour du BDSM sont abordés dans le cadre des débats sur le polyamour.
Les hétéros rejoignent la dynamique créée autour de l’arc LGBTQI. Et, une fois banalisée le fait de pouvoir vivre en couple marié que l’on soit gai, lesbienne ou trans, c’est le couple hétéro lui-même, ses rapports internes et ses rapports à l’Autre qui semblent être en crise et/ou poser problème. Donc devoir être discuté.

Les manières dont les débats sur le polyamour et/ou sur le libertinage intégreront ou non les critiques de l’hétéronormativité dans les débats futurs sera riche d’enseignements sur les évolutions de nos sociétés. En tout cas, il me semble urgent, qu’à côté des « café poly », d’autres cercles puissent se former pour approfondir le vécu polyamoureux quelle qu’en soient ses formes concrètes et la déconstruction de la matrice hétéronormative.


1. Voire que ces « autres » définis par la négative (non-femmes, non-trans (on les appelle les cisgenres), non- travs, non- gays, non- lesbiennes, non- bi, non- intersexes, non- queers) ont sous doute beaucoup à apprendre en écoutant ceux et celles qui sont classé-e-s comme minoritaires, marginaux, pervers et maltraités comme tel-le-s.
2. Non seulement la période reproductive des femmes ne couvre pas toute leur vie, mais contraception et avortement ont permis de dissocier sexualité et reproduction. De plus, de nombreuses méthodes permettent à des gays, des lesbiennes et des trans de devenir parents sans sexualité directe.
3. Editions Payot : Nous les mecs (2013) et Propos sur le sexe, éditions (2015)
4 A ce propos de plus en plus d’hommes qui veulent s’épiler les jambes découvrent, souvent avec stupeur, le douloureux « travail de la beauté » imposé aux femmes.

— Daniel Welzer-Lang - [e-mail, cliquer pour voir l'adresse]

4 réactions (la dernière il y a 5 ans)

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