C’est avec un plaisir mêlé d’appréhension que j’ai entamé la lecture du dernier livre de Françoise Simpère : « Guide des amours plurielles - Pour une écologie amoureuse ». Plaisir lié à la parution d’un nouveau livre sur le polyamour – sujet qui me tient à cœur –, écrit par une femme dont j’apprécie la façon de vivre et la plume. Appréhension parce que je connais maintenant Françoise Simpère personnellement, j’apprécie beaucoup notre relation, mais j’avais peur qu’elle associe le livre à des idées avec lesquelles je ne suis pas en phase : condamnations du capitalisme, du libéralisme, du libertinage marchand et de certaines cellules familiales non-traditionnelles.
Le fait qu’elle utilise le néologisme « Lutinage » à la place de « polyamour » renforçait encore mes craintes, même si nous avions déjà parlé de nos différences de convictions politiques de façon ouverte et décontractée. Ces craintes concernaient le livre en lui-même : je voulais l’aimer pour pouvoir le recommander ! J’écris cet article, donc, vous le devinez, j’aime le livre et je le recommande :-)
Les différences entre le polyamour et le Lutinage
Assez rapidement, Françoise Simpère précise l’une des différences. « Le polyamour se focalise sur les relations amoureuses en négligeant les autres champs de liberté. » C’est exact, et ça me convient bien comme cela : je pense qu’il serait dommage de lier systématiquement le polyamour avec d’autres philosophies dans d’autres domaines de la vie. Pourquoi le polyamour serait-il un vaccin efficace à 100% contre le racisme ? Pourquoi le fait de soutenir le principe du capitalisme ne serait-il pas compatible avec le polyamour ?
Une autre différence que j’ai notée, c’est l’idée de non-hiérarchie et non-rivalité : « Le Lutinage considère que chaque amour est unique, sans hiérarchie ni rivalité entre eux. » ou encore : « Les relations entre les Lutins ne sont pas hiérarchisées. Il n’y a pas de relation meilleure ou plus importante que l’autre au niveau amoureux, il y a des relations de natures différentes, avec des projets différents. » Selon moi, cela déborde de la notion de polyamour. Il y a des polyamoureux qui hiérarchisent et qui apprennent à jongler avec les rivalités lorsqu’elles apparaissent. C’est mon cas à certains moments.
Ceci dit, concernant le principe de non-hiérarchie, Françoise Simpère précise bien que « le principe d’égalité n’oblige absolument pas à consacrer le même temps à chaque homme. L’égalité n’est pas l’identité. Chaque relation étant unique, il n’y a pas lieu d’avoir un modèle standard. Vivez en fonction de vos désirs, de leurs désirs et de vos temps disponibles respectifs, en gardant à l’esprit que le lien qui vous unit aux hommes que vous aimez n’est pas fait que du temps passé ensemble mais aussi des pensées que vous avez pour eux lorsqu’ils sont absents. » Ce conseil m’intéresse particulièrement, puisqu’au tout début de ma vie de polyamoureux, j’essayais de consacrer le même temps à mes amantes, ce qui m’a conduit à des situations absurdes : par exemple, aller passer du temps avec quelqu’un sans en avoir vraiment envie !
J’ai rencontré au début du livre quelques condamnations dont je parle en introduction, mais ce n’est jamais plus que quelques lignes. A mon grand plaisir, elles restent discrètes :-) Pour ma part, je considère donc que le Lutinage est très proche du polyamour et je ne ferai pas la distinction dans la suite.
Le livre de Françoise Simpère est très différent de l’un de mes livres préférés : « the ethical slut » de Liszt et Easton (« la salope éthique », pas encore traduit en français). Ce dernier traite de tous les possibles qui s’ouvrent lorsqu’on abandonne la morale « sex-negative ». Françoise Simpère ne traite « que » du polyamour, et décrit en détails une façon de vivre le polyamour parmi tant d’autres…
Mais finissons-en avec ces considérations sur la définition des mots ! Pour vous mettre l’eau à la bouche, j’ai sélectionné des passages et des réflexions que je trouve très pertinents… A part la dernière partie : « Mon "top 5" des conseils de Françoise Simpère », toutes ces idées rejoignent complètement celles développées dans « the ethical slut ».
Le livre coûte seulement 5,61€ :-) http://livre.fnac.com/a2648589/Francoise-Simpere-Guide-des-amours-plurielles-pour-une-ecologie-amoureuse
La relation à soi-même, notion essentielle dans le polyamour
« Le Lutinage ne garantit pas d’être en permanence entourée d’amants dévoués ! Au bout du compte, la meilleure chose qu’il apprend est de savoir être seul sans angoisse, parce qu’on sait que c’est une situation temporaire dans un cycle fluctuant des amours. Etre seule se révèle agréable lorsqu’on s’entend bien avec soi. On réalise alors que la solitude temporaire est surtout désagréable par l’idée qu’on s’en fait, et l’idée qu’on imagine que les autres s’en font : "De quoi ai-je l’air à être ainsi abandonnée ? " Une simple question d’ego… »
« Le Lutinage est un choix individuel avant d’être un choix de couple. »
« Les témoignages qui suivent ne mettent pas en scène des Lutins béats d’amour sans nuages. Ils mettent en évidence les difficultés liées à ce choix, que vous devez assumer seul car autour de vous on guette votre échec. »
Le polyamour n’est pas un nouveau modèle à imposer
« Répétons-le, il n’est pas question d’imposer le Lutinage à la place de la monogamie, mais d’ouvrir à chaque individu l’éventail des possibles pour qu’il puisse choisir sa vie amoureuse et sa vie en général. »
« On est Lutin dans l’âme, y compris dans ses périodes solitaires ou monogames, car c’est avant tout un état d’esprit qui consiste à rester ouvert à tous les possibles, pas à s’enfermer dans un dogme. »
Le polyamour aide à dédramatiser l’amour
« Le désir n’est pas linéaire, commençant très haut pour s’amenuiser inexorablement. Il est cyclique, peut disparaître totalement puis ressurgir à l’improviste. C’est élément important mais non indispensable à l’amour. Les sexologues savent bien que de nombreux couples n’ont plus ou peu de rapports sexuels et n’envisagent pas pour autant de se quitter car ils sont heureux de vivre ensemble et partagent bien d’autres centres d’intérêt. Avec le Lutinage, l’absence provisoire ou durable du désir a encore moins d’importance puisqu’il est possible d’être comblé ailleurs, avec des partenaires dont on ne se verrait pas partager le quotidien. »
« Quand on l’a expérimenté, on ne s’effraie plus d’une baisse de libido et on ne raisonne plus en "début, milieu, fin", mais en perpétuels renouvellements. »
« L’amour ! Que de questions, que d’angoisses face à un sentiment qui pourrait être si simple : être séduit par une personne, se réjouir qu’elle existe, être heureux(se) de son bonheur, triste de ses chagrins et solidaire en cas de besoin. L’amour pourrait être le sentiment le plus libre et le plus altruiste qui soit mais on l’enferme dans un carcan d’obligations : « Si tu m’aimes, tu dois faire ceci ou cela. » D’exigences irréalistes : « Prouve-moi que tu m’aimes. » D’anxiété : « Ce sentiment que j’éprouve, est-ce vraiment de l’amour ? » Je ne compte plus les lettres de correspondantes parlant d’un homme avec qui elles aiment faire l’amour, discuter, partager mille choses, et qui concluent, sous prétexte qu’elles ne se sentent pas rongées par des angoisses extrêmes : « Est-ce que je l’aime ? Est-ce qu’il m’aime ? Est-ce que c’est ça l’amour ? » Le besoin de vivre un amour tragique comme dans les livres, avec ses flamboyances et ses excès, les fait passer à côté d’hommes merveilleux. »
« La routine ? Faux problème. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas la routine qui crée l’insatisfaction, mais l’insatisfaction qui donne une impression de routine. Lorsqu’on est heureux, les gestes répétitifs – café/tartine du matin, douche chaude, bouquet de fleurs du dimanche – ne semblent pas de la routine mais des rituels, y compris lorsqu’on fait l’amour. »
« Le lutin n’est pas forcément un humoriste-né mais il le devient, car il lui faut garder une distance suffisante pour assumer sans dommages des situations inattendues, qui l’amuseront d’ailleurs avec quelques mois de recul… Découvrir à votre soirée d’anniversaire que vos deux meilleurs copains viennent de se mettre en couple avec deux de vos amantes, consoler l’amante de votre compagnon qui pleure parce que celui-ci ne veut pas vous quitter, expliquer à une femme que son amant n’attend pas d’elle des prouesses érotiques tout en lui expliquant pour la rassurer le B-A BA de ce qui pourrait faire plaisir… […] Le sens du jeu permet aussi de dédramatiser la sexualité en la débarrassant des enjeux qui la parasitent. Cette dédramatisation ouvre la voie à des relations ludiques où l’imagination peut se donner libre cours, comme dans les jeux d’enfants : "On dirait que tu serais…" »
Le polyamour aide à dédramatiser la séduction
« Il est parfois plus facile de plaire à plusieurs personnes qu’à une seule, car, en y mettant moins d’enjeux, on est plus détendu, plus détaché, donc plus séduisant. »
« "Conclure" n’est pas l’obsession du Lutin. Pour lui, la sexualité ouvre un nouveau dialogue au lieu d’être l’aboutissement d’une stratégie de séduction. »
Mon "top 5" des conseils de Françoise Simpère :-)
« Le désir étant non maîtrisable, n’est-il pas dangereux de suivre ses rythmes et ses caprices ?
Vous parlez du désir sexuel passionnel d’une relation débutante. Il est effectivement dangereux si vous faites des chois de vie importants sous son emprise. Voila pourquoi, face à un amant fou d’amour (l’expression "fou" d’amour est d’ailleurs explicite), j’ai toujours répondu que j’adorais cette folie, que j’étais prête à vivre de fols instants, mais que pour les choix de vie qu’on me proposait j’attendrai au moins deux ans. Certains fous d’amour ont fui, la majorité s’est transformée en amants au long cours. »
« Ayant découvert l’un et l’autre que nous étions infidèles, mon compagnon et moi avons décidé d’être clairement des Lutins. Cela soulage ma culpabilité, mais, bizarrement, je ressens moins de plaisir que lorsque j’avais des liaisons cachées…
Vous faites partie des femmes dont le plaisir repose en partie sur la transgression et la culpabilité, le besoin de sexe sulfureux et interdit. Vous trouvez excitant de braver un interdit ? Pour augmenter votre libido, inventez avec votre compagnon ou vos amants des jeux érotiques qui vous mettent en position de femme coupable avec une punition à la clé, des ébats où vous risquez de vous faire surprendre par des inconnus, ou des scénarios transgressifs qui vous pousseront dans vos retranchements. Dites-vous aussi que, même si vous avez opté pour le Lutinage, vous ne racontez pas le détail de vos ébats ni l’intensité de vos sentiments à votre compagnon. Il demeure donc en vous une part de mystère inaccessible… L’idée vous stimule-t-elle ? »
« Comment savoir si un homme s’intéresse vraiment à moi ou uniquement au fait que je dois être "un bon coup " ?
Au départ, vous ne le saurez pas et peu importe, car la phase de séduction et de désir est un pur bonheur, sous réserves de ne pas fantasmer immédiatement sur LE grand amour. Vous saurez si votre amant s’intéresse à vous lorsque la relation se poursuivra et qu’il lui arrivera de vous voir sans nécessairement passer à l’acte, et de vous téléphoner juste pour demander si vous allez bien. »
« Sortir avec plusieurs femmes revient cher si je "fais l’homme" et paie toujours pour elles. Puis-je proposer de partager les dépenses sans passer pour un radin ?
Ce n’est pas le nombre de femmes qui fait la dépense, mais le nombre de sorties. Si vous dînez chaque soir au restaurant avec votre compagne, vous dépenserez autant en une semaine que si vous le faites avec sept femmes différentes ! Trêve de plaisanterie. L’homme qui paie est une coutume en voie de désuétude, notamment chez les Lutines extrêmement attachées à leur indépendance. Cependant, les calculs maniaques en fin de repas pour partager la note sont assez "tue l’amour". Il est plus troublant de s’inviter chacun à son tour. Ce rituel peut même préluder à un jeu érotique, l’invitant devenant maître du reste de la soirée, dans une optique classique de plaisir qui s’achète, ou, au contraire, celui qui offre le repas s’offrant ensuite aux fantasmes de sa maîtresse : "Fais ce que tu veux de moi, je suis ton dessert." »
« Dans ce travail sur l’ego, y a-t-il des moments de doutes, des interrogations philosophiques ou existentielles ?
Non seulement il y en a, mais il est important de s’interroger sur ses motivations. Choisit-on les amours plurielles parce qu’on éprouve un intérêt réel pour les hommes et les femmes que l’on va pouvoir rencontrer sans culpabilité, ou pour se prouver qu’on est séduisant en multipliant les conquêtes ? Le Lutinage est-il un véritable choix de vie, ou une façon de cultiver l’illusion qu’on est marginal, pas comme les autres, capable plus que les autres de vivre une vie intense ? En d’autres termes, est-on Lutin pour soi ou pour éblouir les autres ? Est-on vraiment heureux d’aimer au pluriel, ou ce choix reflète-t-il un désir d’échapper à la routine conjugale, de combler un manque affectif, d’oublier le temps qui passe ? En bref, est-on dans un authentique désir ou dans la distraction pascalienne ? Sans réflexion sur ces questions, on risque un jour de se déprimer : "A quoi bon tout cela ?" ou d’avoir très peur de vieillir et de ne plus séduire. »